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Publié le lundi, 5 juin 2023 à 09h49

Les pères lointains de Marina Jarre. L’inconstance de la mémoire

Par Stefano Palombari

Les pères lointains de Marina Jarre - couverture

Marina Jarre fait partie du groupe des écrivaines italiennes du siècle dernier récemment redécouvertes par les éditeurs francophones. Goliarda Sapienza, Dolores Prato, Paola Masino, Anita Pittoni, Clotilde Marghieri, Luce D’Eramo… autant de styles et d’univers différents que la mémoire littéraire a laissé sur le bas-côté. Leurs textes, ensevelis sous la couche de plus en plus épaisse des productions ultérieures, ont été littéralement ramenés à la lumière ces dernières années. Cette œuvre méritoire de « fouille littéraire » a permis de rendre accessible au lecteur francophone ces pépites, dont Les pères lointains est la plus récente.

Lointains ou carrément absents, les pères, et les hommes en général, sont aperçus, par bribes, dans les traits des personnages féminins. Dans la vie de Marina Jarre cet éloignement a été un élément fondateur. Du père, il ne lui est resté que le nom. Samuel Gersoni, un juif letton tué par les nazis en 1941, était un homme lâche, excentrique, volage, colérique. Du moins c’est le portrait très peu flatteur qui ressort des pages du livre. Marina n’avait que dix ans la dernière fois qu’elle l’a vu. Dans le livre, elle tente de retrouver des traces de ce père. Des traces objectives. Car ses souvenirs sont pollués par des éléments extérieurs. Contaminés notamment par les récits sévères de sa mère (italienne d’origine française huguenote).

Les pères lointains est une autobiographie intellectuelle. On déduit les faits, les actions, les personnages, les objets... des pensées, des sensations, des sentiments contradictoires. Le père, la mère, la sœur Sisi, les grand-parents paternels et maternels, le mari et les enfants mais aussi Riga, Torre Pellice, Turin... tout est esquissé de façon ondulatoire. Par le biais de l’inconstance des sentiments, par le rythme asynchrone de la remembrance. Si on peut être décontenancé in medias res, le résultat final est bluffant de précision.

Cette publication posthume, nous donne un aperçu de la richesse de l’œuvre de Marina Jarre. Après Les pères lointains, une « traversée du vingtième siècle », nous sommes très curieux de découvrir les autres textes de cette auteure singulière, « inclassable ». Sa prose, qui peut paraître fragile, hésitante, se révèle d’une redoutable puissance. On n’est certainement pas au bout de nos surprises.

Informations pratiques
  • Marina Jarre, Les pères lointains, traduit de l'italien par Nathalie Bauer, Christian Bourgois éditeur, 22,50€