L'ÉCOLE DE FONTAINEBLEAU

Château de Fontainebleau foto © Sabine MilleLa fortune de Fontainebleau comme centre artistique naquit de la prédilection manifestée par François Ier en 1528 pour l’ancien château, alors très modeste. Le roi, de retour en France après la défaite de Pavie et l’humiliation de sa captivité en Espagne, voulut affirmer son prestige en créant une cour d’une beauté et d’une richesse comparables à celles des principaux centres italiens et européens, de préférence à proximité de Paris.

Il appela alors Rosso Fiorentino de Venise pour lui confier la direction des travaux de transformation du château. Celui-ci arriva en France en 1530 et exigea la présence d’autres artistes italiens, parmi lesquels Luca Penni et surtout le Primatice. Doté par le roi de grands pouvoirs, Rosso réussit à monter, en peu d’années, un chantier très actif, formant des équipes de peintres à fresque, de stucateurs et de graveurs. Avec la décoration de la galerie de François Ier, il créa des modèles ornementaux d’une grande originalité, qui rencontrent un succès immédiat et inconditionnel dans les milieux artistiques français. A la mort du Rosso, en 1540, le Primatice lui succèda. D’abord seul puis, à partir de 1552, aidé par Niccolò dell’Abate, il continua l’œuvre du Rosso jusqu’à l’affirmation complète d’une nouvelle culture artistique. Leurs œuvres évoquent, avec un raffinement extrême, des sujets strictement Renaissance, s’inspirant de l’Antiquité. La « manière de Fontainebleau » a une prédilection pour les figures nues, les formes allongées, sinueuses, entrelacées, pour les cartouches et les grotesques, pour les thèmes mythologiques et les sombres allégories. Si le chef de filede cette nouvelle manière est indubitablement le Primatice, d’autres grands artistes italiens comme Benvenuto Cellini, Vignole, Gerolamo Della Robbia et Serlio y contribuèrent.

L'école de Fontainebleau ne restera pas circonscrite à son berceau. Devenus célèbres, ses représentants accepèrent des commandes venues d’un peu partout. Plusieurs aristocrates voulurent eux aussi posséder leur « galerie » : châteaux, hôtels, églises, fontaines et chapelles adoptèrent ce nouveau langage artistique. Pour la puissante famille de Guise, qui s’était emparée en 1553 du vieil hôtel de Clisson dans le Marais (60, rue des Francs-Bourgeois), le Primatice s’occupa ainsi des travaux de restauration, aidé par le peintre Niccolò dell’Abate. Le tombeau d’Henri II et de Catherine de Médicis dans la basilique de Saint-Denis, fut également conçu par Primatice en collaboration avec Germain Pilon.

Rosso Fiorentino

Giovanni Battista di Iacopo (1495-1540) fut surnommé Rosso Fiorentino, « le rouquin florentin », en raison de sa couleur de cheveux et de sa ville d’origine. Formé à Florence dans l’atelier d’Andrea del Sarto, et très influencé par l’art de Michel- Ange, il exerça une activité à Florence, puis à Rome de 1524 à 1527, avant de revenir en Toscane. Il eut la chance d’être appelé en 1530 par François Ier. C’est à la cour de France qu’il put développer réellement tous ses talents d’artiste de cour : peintre, dessinateur, concepteur de décors fixes et éphémères, et d’objets d’art… Il réunit autour de lui une équipe d’artistes italiens pour l’aider à la réalisation des décors qu’il conçut pour le Roi à Fontainebleau, tels que la galerie François Ier. Plusieurs des ensembles et des oeuvres qu’il a conçus ont disparu. Le Christ mort est la seule œuvre à caractère religieux qui nous soit conservée de sa période française.

Rosso se donna la mort en 1540 et laissa la place à l’artiste bolonais Francesco Primaticcio (1504-1570), qu’il avait sans doute appelé auprès de lui.

C’est l’Arétin, écrivain célèbre et influent, qui avait recommandé Rosso à François Ier. A Paris, où on l’appellait maître Roux, l’ascension sociale de l’artiste florentin, à la fois peintre sculpteur et architecte, fut extrêmement rapide. Le roi lui assurait un salaire très élevé et, en 1532, le fit chanoine de la Sainte-Chapelle. A ce titre s’ajouta, cinq ans plus tard, le canonicat à Notre-Dame. Mais Rosso souffrait chroniquement d'une humeur instable; elle lui fut fatale le 14 novembre 1540, quand il mit fin à ses jours.

Primatice

Né en 1504 à Bologne, Primatice part à 22 ans pour Mantoue, la cité de Federico II Gonzaga. Il y devient l’assistant de Giulio Romano, l’un des plus puissants héritiers de Raphaël. En témoignent les études pour la Camera del Sole e della Luna, la Camera delle Aquile ou encore de la Camera degli Stucchi au Palazzo Te.

En 1532, Primatice arrive comme substitut de Guilio Romano auprès de François 1er, à qui il présente les modelli de son maître pour la Tenture de Scipion l’Africain. Le roi de France envoie alors Primatice à Bruxelles superviser la transcription de ces petits patrons à l’échelle définitive. La destinée du peintre bolonais est dès lors liée à celle des derniers Valois. Il retrouve à la cour de France, un autre italien, Rosso Fiorentino, arrivé en 1530 sur la recommandation de l’Arétin. Fontainebleau est alors un centre artistique en pleine effervescence. Sous la direction du Florentin, une vaste équipe d’artistes œuvre à la décoration de la galerie François 1er, tandis que Primatice est en charge de celle des appartements royaux. La mort soudaine de Rosso en 1540 laisse le champ libre pour trente ans à Primatice.

Devenu en 1544 abbé de Saint-Martin à Troyes, il poursuit sa carrière de Peintre du Roi et oriente son activité vers l’architecture et la sculpture; il structure son atelier comme ceux de Raphaël et de Giulio Romano. Il dessine pour concevoir et, colonisant le talent d’autrui, s’entoure d’interprètes – peintres, émailleurs ou sculpteurs – qui sont des créateurs à part entière : Nicolò dell’Abate, Germain Pilon, Dominique Florentin ou Léonard Limousin. Comme Raphaël et Giulio Romano, il associe à sa pratique artistique un principe d’édition en faisant reproduire ses idées par l’estampe. Là encore, ce sont les plus grands graveurs de Fontainebleau – Antonio Fantuzzi et Léon Davent – qui servent cette double ambition de “ copyright ” et de “ publicité ”.

Sous François Ier, Primatice imagine fêtes et mascarades, multiplie les décors intérieurs (la Galerie Basse, l’Appartements des Bains, la Chambre de la duchesse d’Etampes, le Cabinet du Roi, …) mais aussi œuvre dans le jardin du château (Pavillon de Pomone, Fontaine d’Hercule, Grotte des Pins).

Le chantier de la Galerie d’Ulysse s’ouvre dans les années 1540 et se poursuit au delà de la mort de son concepteur, en 1570. Au cours de séjours réguliers en Italie, il fait venir des œuvres antiques ou leurs moulages et importe les dernières inventions du maniérisme italien. Sous le règne d’Henri II, les réalisations se multiplient dans le domaine de la sculpture funéraire (Tombeau des Guise, Urne du cœur de François 1er, …); à Fontainebleau, il dirige Nicolò dell’Abate, dans la décoration de la Salle de Bal. Nommé Surintendant des Bâtiments, il consacre principalement ses dernières années au monument funéraire d’Henri II et à la Rotonde des Valois à Saint-Denis.

Pour mener à bien ses multiples entreprises, Primatice exécute quantité de dessins qui sont ensuite confiés aux divers corps de métier, des émailleurs aux lissiers, des peintres aux maçons. Aujourd’hui, la plupart de ses décorations sont malheureusement perdues ou abîmées, à l’exception de la Porte Dorée, la Chambre de la Duchesse d’Etampes et la Salle de Bal. L’abondance exceptionnelle des dessins conservés permet de les évoquer. Rares en revanche sont les tableaux du maître conservés ; tous sont présents dans l’exposition (l’Autoportrait des Offices, La Sainte Famille de L’Ermitage, Ulysse et Pénélope du Toledo Museum of Art…).

Artiste virtuose et ambitieux, Primatice a développé un art savant et exigeant qui conjugue volupté des sens et héroïsme épique. Il a mis en scène un monde de dieux et de héros. Ses formules séduisantes et gracieuses, d’une créativité et d’une poésie sans précédent, forgent un style primaticien dont la singularité va gagner toute l’Europe.