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Publié le mardi, 5 mai 2020 à 17h05

Le cinéma au temps du Corona. La 2ème phase

Par Valérie Mochi

Roberto Benigni dans Pinocchio de Matteo Garrone

La date de la réouverture des salles de cinéma n’est toujours pas fixée, du moins pas clairement comme pour beaucoup d’autres activités, les dates et les modalités de déconfinement sont fluctuantes et vagues. Mercredi 6 Mai le Président de la République, lui même, fera une déclaration exceptionnelle pour la culture, peut-être en réaction aux tribunes et pétitions* qui se multiplient ces derniers jours pour défendre la création et ses acteurs. Sept semaines après la première intervention du Président Macron pour rassurer les Français : « personne ne sera laissé de côté » le monde de la culture se sent abandonné, la colère gronde.

En attendant les distributeurs, les exploitants de salles, les festivals, les cinémathèques, les plateformes, les sites de streaming réagissent, chacun à sa manière, et les idées ne manquent pas pendant cette période de confinement qui ne signifie pas inactivité.

La première nouvelle c’est l’annonce de la sortie du film de Matteo Garrone Pinocchio chez Amazon Prime à compter du 4 mai. Le Pacte société de production et de distribution française a en effet confirmé avoir cédé les droits à la plateforme de SVOD d’Amazon pour la diffusion exclusive du film en France. Pinocchio, projeté dans les salles en Italie en décembre dernier, a été présenté hors compétition en février à la Berlinale et cumule 15 nominations aux David di Donatello 2020. Ces prix annuels du cinéma italien seront décernés en direct sur la Rai. Comment se déroulera la cérémonie, respect des distances de sécurité, masques ? Rdv le 8 mai pour le découvrir.

Jean Labadie, fondateur de la société Le Pacte, même s’il est plus favorable à la sortie en salles, se voit contraint de renoncer à une future exploitation sur grands écrans, dans une déclaration à Boxofficepro.fr il s’explique :

« Nous avons déjà investi 700 000 euros en frais d’édition et avec le flou entourant la réouverture des salles cet été, nous ne pouvions pas attendre le dernier trimestre et devoir investir à nouveau le même montant dans une période de grande concurrence". Par ailleurs, a-t-il ajouté, "nous souffrons sur tous nos films d’un piratage extrême alors que le marché VOD, malgré une reprise, reste insuffisant pour être significatif ».

Pour les films de répertoire ou de patrimoine, la situation est différente, les budgets n’ont rien de comparable. Les Acacias, société de distribution de films de répertoire avec laquelle l’Italie à Paris est partenaire de la rétrospective Dino Risi, devait distribuer Sexe Fou (Sessomatto) en avril. Les Acacias distribue aussi des films indépendants récents. Les salles ont fermé et le film n'est pas sorti, mais Jean Fabrice Janaudy, son dirigeant, reste confiant :

« Avec l’équipe, on discute des sorties de films en amont avec les salles parisiennes du quartier latin, on attend la date de disponibilité du Champo, du Reflet Médicis ou de la Filmothèque et à partir de là on décide de notre date de sortie nationale. Par exemple pour Sexe Fou (Sessomatto) on avait choisi la date du 8 Avril avec le Reflet Médicis et pour Guendalina et Les Adolescentes (I dolci inganni) de Lattuada on avait décidé du 29 avril avec le Champo. Alors quand les salles rouvriront on reprendra les négociations, il y aura sans doute un décalage, une partie des films qui devaient sortir cette année sortiront au 1er trimestre 2021, mais je suis plutôt confiant, on les sortira quand même. » Interview pour l’Italie à Paris (ici en version intégrale)

Pour Tamasa Diffusion, une société de distribution également éditrice de Dvd, qui a sorti la trilogie Fellini début février et devait la conclure le 18 mars avec Le Cheik Blanc (Lo Sceicco Bianco), restaurés en version 4K, et la sortie d’une version inédite de Europe 51 de Rossellini prévue pour plus tard, la crise a un impacte important. Philippe Chevassu explique qu’il est soumis à un calendrier imposé par le CNC mais aussi à celui des saisons :

« D’une part on a un programme auquel on doit se tenir vis a vis du CNC, et d’autre part, pour les sorties en salles, outre le fait que nos contrats courent et qu’on a un mandat à durée limitée, si on ne sort pas les films avant six mois un an, il en résulte un problème de trésorerie et de rentrée d’argent. Et puis dans notre cas où il y a avait une logique de sortie en salles et en même temps en vidéo ça devient un problème énorme parce qu’on ne peut pas sortir un film à n’importe quel moment. Pour le cinéma italien à proprement dit c’est une vraie question car le printemps et l’été c’est le moment où on sort beaucoup de comédies en salles, des choses légères qui sont vraiment dans l’air du temps et si on ne peut pas les sortir en mars c’est problématique. Quant aux éditions vidéo, si par exemple vous sortez des éditions très chics, très luxe sur les deux Fellini, Vitelloni, Cabiria maintenant, ils seront tués dans l’œuf, même si ce sont des films monumentaux, on doit les sortir en octobre ou en novembre, pour les fêtes». Interview pour l’Italie à Paris (ici en version intégrale)

Lorenzo Chammah est le programmateur des salles du Paris Cinéma Club regroupant deux salles, Le Christine et Les Ecoles. Il travaille en collaboration avec Les Films du Camélia dirigé par son père Ronald Chammah qui possède un catalogue très riche de films italiens, il devait distribuer, entre autres, Le Jardin des Finzi Contini de De Sica en avril. Le film a été plusieurs fois reprogrammé, aujourd’hui aucune date n’est fixée, il y a trop d’incertitudes sur la date de réouverture des salles. Lorenzo Chammah, à l’origine du cycle « Eblouissant Antonioni » est un cinéphile averti, il organise régulièrement des soirées ciné club, Kinopop, Sciences Po Cinéma Club, Les Cinesthésies d’Opium et même s’il est un fervent défenseur de la salle, il n’est pas opposé à la diffusion des films sur petits écrans :

« Rien ne remplace la salle de cinéma mais dans cette période de crise sanitaire la salle de cinéma n’existe plus, alors c’est très bien qu’il y ait autant de moyens de diffusion, c’est mieux ça que rien du tout. Au contraire, je pense que ça va créer un manque de la salle de cinéma, ce trop plein, cette orgie progressive de consommation à domicile va donner envie aux gens de ressortir et d’aller de nouveau dans les salles évidemment. Nous n’envisageons pas de proposer un service de vod en direct de la salle de cinéma car les spectateurs savent chercher les films, il y a suffisamment de plateformes à disposition. Et puis il faut qu’on soit l’expression de la frustration du moment : l’impossibilité de voir des films en salle. Il faut que l’on puisse reprendre nos droits le plus vite possible une fois que les cinémas auront rouvert. Donc je le vois d’un bon œil, au temps présent et au temps futur dans le sens où à force de consommer à la pelle et sous toutes ses formes, à un moment on va avoir envie de changer d’air. » Interview pour l’Italie à Paris (ici en version intégrale)

Autre conséquence de cette crise, les festivals de cinéma du monde entier sont annulés ou décalés et cela a des répercussions énormes sur la distribution des films. Le Festival de Tribeca est à l’origine de l’opération We are One : A global film festival en réunissant 20 festivals majeurs pour garder le contact avec les spectateurs et la profession. Une opération qui propose aux internautes de la planète de se retrouver du 29 mai au 7 juin prochains sur la plateforme Youtube pour un festival virtuel mondial.

Les festivals impliqués dans le rendez-vous sont : Annecy, Berlin, Londres, Cannes, Guadalajara, Macao, Jerusalem, Mumbai, Karlovy Vary, Locarno, Marrakech, New York, San Sebastian, Sarajevo, Sundance, Sydney, Tokyo, Toronto, Tribeca et Venise.

En attendant l’été les propositions se multiplient pour palier au manque de salles obscures et pour soutenir l’industrie du cinéma en crise. Entre le cinéma à ciel ouvert qui permettrait de garder les distances de sécurité, et les annonces de mises en place de drive in à l’américaine, aussi bien en France qu’en Italie, on trouvera bien un moyen de visionner des films sur grand écran avant l’été pour retrouver la liberté, rêver au delà de nos quatre murs de confinement et espérer pouvoir reprendre le chemin des vraies salles de cinéma à la rentrée.