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Publié le dimanche, 7 janvier 2024 à 10h19

Horcynus Orca de Stefano D'Arrigo

Par Riccardo Borghesi

Horcynus Orca de Stefano D'Arrigo - couverture

Écrire une critique de Horcynus Orca de D'Arrigo aujourd'hui, demande une bonne dose de courage, au risque d'être perçu comme présomptueux ou simple d'esprit. Ce que j'aimerais éviter. Je tenterai alors simplement de vous fournir des éléments pour vous inciter à le lire.

Nous sommes ici en présence d’un chef-d'œuvre, pilier de la littérature italienne du XXe siècle. Nous nous trouvons dans le territoire des points fixes littéraires, qui ne se démoderont jamais, qui inspireront toujours. On retrouve ici le Moby Dick de Melville, l'Odyssée d'Homère, l'Ulysse de Joyce, la Divine Comédie de Dante entre-autres. Horcynus Orca est peut-être la dernière œuvre par ordre chronologique à avoir mérité une place dans cet empyrée. Et également la moins connue, la moins publiée, la moins traduite, la moins étudiée.

On en parle ici à l'occasion de la première traduction en français : Horcynus Orca a été publié en 1975, la traduction sort en 2023, soit près de 50 ans plus tard. L'écriture du roman, son limage et sa reformulation infinis, le travail obsessionnel de ciselage de D'arrigo, ont duré plus de 20 ans. La traduction présentée ici a nécessité 15 ans de travail acharné et collectif.

Un travail titanesque. Le langage est donc l'un des éléments les plus importants de l'œuvre. Entremêlant lexique cultivé, dialecte populaire sicilien et néologismes pyrotechniques, il peut rappeler celui du Pasticciaccio de Gadda, s'il n'était pas imprégné d'archaïsme, d'épopée, de classicisme. Chaque phrase peut être extraite de son contexte et savourée dans sa construction inattendue, chaque mot dégusté comme un élixir, l'émerveillement étant constamment renouvelé par de surprenantes inventions linguistiques.

La lecture peut être ardue, surtout dans les premières pages, mais elle séduit rapidement l'oreille, la subjugue, la rend dépendante. La longueur du texte, avec son immensité océanique, demande un temps de lecture indéfini. Un mois, un an, toutes les mesures sont permises.

Tout cela est respecté dans la belle traduction de Monique Baccelli et Antonio Werli. Sauf l'intraduisible évidemment, le lemme sicilien qui hybride l'invention linguistique, dont la traduction n'est pas possible, sauf à peser sur le sérieux de l'ensemble. Les traducteurs l'ont savamment évité. D'où un texte français plus fluide que l'original, plus accessible. De ce fait, le lecteur aurait peut-être apprécié des notes en bas de page, éventuellement avec des extraits de l'original. Le résultat est néanmoins digne des exigences linguistiques de D'arrigo, qu'il comprend et respecte parfaitement.

Et puis il y a le récit hors du temps, où le présent tragique de 1943 après l'armistice, pourrait être celui du classicisme grec. Voyage, retour, rencontres symboliques, figures mythologiques et monstrueuses qui s'inscrivent naturellement dans les terres frontalières du détroit de Charybde et de Scylla. Enfin, il y a l'amour, le sexe et la mort, comme dans chacun des plus grands chefs-d'œuvre de la littérature.

PS : la belle édition, tant sur le plan esthétique que sur celui de la qualité du support (la jaquette plastifiée est bienvenue pour les temps longs que nécessite la lecture), justifie pleinement le prix du volume (1400 pages pour 1.4 kg) qui approche de très près les quarante euros.

Informations pratiques

Stefano D'Arrigo, Horcynus Orca, traduit de l'italien par Monique Baccelli et Antonio Werli, Le Nouvel Attila 39,90€