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Publié le jeudi, 18 janvier 2018 à 15h21

Urbi et Orbi et Malacarne, deux romans de Giosuè Calaciura

Par Riccardo Borghesi

Urbi et Orbi - couverture

Ce livre est un écrin contenant deux pierres précieuses qui brillent d'une lumière d'une beauté inquiétante et dérangeante. Il dégage un charme qui attire avec la force d'un magnétisme ancien et inexplicable, qui en même temps tient à distance, qui inspire la peur et le respect comme l'oracle d'une religion oubliée.

Et comme un oracle, il parle par images, métaphores, hyperboles, visions apocalyptiques et poétiques. Son langage est visionnaire, baroque, surtout dans Malacarne, où l'impression, l'intuition ont la priorité sur la compréhension. Ici on ne raconte pas, on suggère, on rumine dans les labyrinthes d'esprits malades, tordus, féroces, d'une férocité innée, aussi inévitable que celle des fauves.

Il s'agit de deux monologues, deux délires intimes, deux confessions sans repentance. Dans les deux cas, ceux qui parlent sont des personnages qui poursuivent le mal, nés pour le mal, mais candidement conscients de leur perversion. Des personnages vivants dans des mondes archaïques, régis par des instincts et des lois primordiales. Dans "Malacarne" c'est la mafia, le crime, la vengeance, le pouvoir de vie et de mort. Dans "Urbi et Orbi", c'est la religion sans foi ni morale de la société vaticane, avec ses rites, avec ses rôles assignés depuis des générations, avec sa corruption généralisée, avec le pouvoir absolu, celui du Pape, qui ne peut rien contre le pouvoir du temps, du déclin du corps, ni contre la méchanceté de l'homme.

Au-delà du flot des mots, hypnotique et inexorable, écrit dans une langue d'une rare beauté, avec un goût et une couleur populaires et en même temps cultivés, avec des arômes de Sicile faits d'hyperboles et de visions, comme les autels des églises baroques (ou les films de Ciprì et Maresco), au-delà de tout cela on aperçoit l'histoire en filigrane. Et l'histoire, bien qu’elle soit évoquée par hiéroglyphes et signes énigmatiques, se révèle claire et précise. C'est l'histoire de notre pauvre pays, racontée à travers le prisme déformant des ses deux plus grands foyers de corruption et de décadence : la mafia et la religion.

Il s'agit donc d'un livre qui exige une lecture lente et attentive, qui impose concentration, réflexion préalable et digestion successive. Cela demande du temps, mais ce temps ne sera que très bref devant la brèche que cette lecture semble entrouvrir sur l'éternité.

PS : la figure du Pape faible, qui renonce au pouvoir absolu, qui vacille dans sa foi, qui redevient homme, est une figure littéraire pas si rare dans la création italienne. En voici trois exemples : le grandiose "Rome sans un pape" de Guido Morselli, "Habemus Papam" de Nanni Moretti, "le cardinal" de Vittorino Andreoli (selon moi inspiration implicite du film de Moretti).

PS 2: Si "Malacarne" a déjà été publié en France (je vous renvoie à la critique faite par Stefano Palombari il y a quelques années), Urbi et Orbi est traduit pour la première fois, avec une excellente traduction qui parvient à préserver tout son rythme et toute sa couleur.

Informations pratiques

Urbi et Orbi et Malacarne, de Giosuè Calaciura, Notabilia, 23 €
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