Publié le dimanche, 11 juin 2023 à 10h45
Pantelleria, roman de Giosué Calaciura
Quel est ce tourment nostalgique qui vous envahit à la lecture de ces pages et qui persiste une fois refermé le livre ? Pourtant, vous n'êtes jamais allé à Pantelleria, et vous n'en avez peut-être entendu parler que comme d'un lieu mythologique, presque de fantaisie.
Une terre reculée, extrême, surgie des flots marins à force d'éruptions, fille de forces telluriques et primordiales, morgane destinée peut-être à sombrer de nouveau, selon les caprices d'imprévisibles furies chthoniennes. Une île sans abordage facile ni plage, soumise à des vents usants et omniprésents. Terre frontière, avant-poste de l'Europe en Afrique, enclave marine d'où le regard intercepte les lumières des ports tunisiens.
Une île où la survie a toujours impliqué la soumission aux lois de la nature et à ses caprices. Une île "isolée", parfois pendant des semaines, lorsque la colère des éléments interdit tout débarquement et tout atterrissage.
Lieu où les maisons tournent le dos à la mer, se privant de la plus belle vue, à la recherche d'une intimité pourtant asservie à l'intrusion irrépressible du vent. Mais un territoire où, malgré l'absence d'eau, les fragiles agrumes s'épanouissent et fructifient, protégés et arrosés au compte-gouttes par de hauts murs ancestraux, captant l'humidité et la rosée. Une communauté isolée mais accueillante envers l'étranger, qu'il soit le riche notable en quête du "buen retiro", ou le migrant échoué sur ses rochers.
On est forcément nostalgique d'un lieu comme Pantelleria, comme nous le sommes du temps perdu de l'innocence. Encore plus si on est gouverné par le récit inspiré de Calaciura. Un récit composé d'histoires au goût de légende, et de légendes au goût de vraisemblance. Un récit où le regard ethnologique et sociologique se mêle à la poésie et où le vent implacable finit par se transformer en divinité malicieuse, rappelant en cela l'eau de la mer qui poursuit les gens dans les rues de "Borgovecchio".
Même dans les pages de ce court livret, peut-être un texte mineur mais non moins inspiré que les précédents, Calaciura se confirme comme l'un des écrivains italiens les plus importants, certainement celui à la poétique la plus vibrante, généreuse et dense d'humanité.
PS : Comme c'est désormais mon habitude, je tiens à signaler la belle traduction de Lise Chapuis, qui prouve une fois de plus le lien indissociable du couple auteur-traducteur dans la genèse d'un texte d'excellence.
Informations pratiques
- Giosuè Calaciura, Pantelleria, traduit de l'italien par Lise Chapuis, Notabilia, 14€