Publié le mardi, 10 octobre 2023 à 09h52
Les derniers jours de L'Europe de Antonio Scurati
S’il y a une leçon à tirer de ce magnifique livre de Scurati, c’est que "l'homme seul aux commandes" conduit nécessairement à la ruine du peuple qu'il gouverne. Cela a toujours été le cas, depuis le « Grand Corse », aux dictateurs du siècle dernier, jusqu'aux autocrates d’aujourd’hui. C'est juste une question de temps. Le temps qu'il faut au tyran du moment pour grimper au sommet de sa tour d'ivoire et commencer à prendre ses décisions seul, par inspiration divine, coupé de la realité monde.
La supériorité des démocraties fragiles réside dans la fugacité du pouvoir, dans le caractère éphémère de tout leader, qui semble aujourd’hui inébranlable, mais qui en réalité sera bientôt oublié. Précieux avertissement à ceux qui aspirent encore aujourd’hui à "l’homme fort".
Ce troisième volume de l'œuvre monumentale de Scurati consacré à la vie de Mussolini, nous emmène au seuil de la catastrophe. Il nous montre le mécanisme, à la fois inexorable et mesquin, par lequel le chef du fascisme perd contact avec la réalité et se lance à la poursuite de la chimère de l'empire, du mirage de la gloire. Ignorant les avertissements de sa cour, ne se fiant qu'à son instinct et à ses désirs déplacés, il entraîne l'Italie dans une guerre perdue d'avance.
De l'étreinte mortelle avec le régime nazi, à la promulgation des lois raciales, jusqu'à l'entrée en guerre, Mussolini glisse sur un plan incliné qui le mènera au précipice. Les autres hiérarques du régime assistent impuissants à ce suicide annoncé. Les plus rusés commenceront à s'en éloigner, à penser à l'après, les autres, les plus sots, aveuglés par leurs miettes de pouvoir, le suivront la tête baissée.
Parmi eux, se distingue la figure tragique et grotesque de Galeazzo Ciano, époux de la fille préférée du Duce et naïf ministre des Affaires Étrangères du régime fasciste. Pathétique fantoche entre les mains de Mussolini, vain coureur de jupons en quête de gloire, il sera à l'origine de l'invasion de l'Albanie et, malgré son aversion viscérale pour les Allemands, de la signature du pacte d'acier avec l'Allemagne nazie.
Un rôle important dans l'histoire est
également donné à deux perdants du régime,
Renzo Ravenna, fasciste de la première heure
et podestat de la ville de Ferrare, et
Margherita Sarfatti, muse, sponsor et première
amante du jeune Mussolini. Tous deux juifs,
ils finiront victimes des lois raciales de
1938.
Dans les dictatures, personne n'est à l'abri
des caprices du chef.
Informations pratiques
- Antonio Scurati, Les derniers jours de L'Europe, traduit de l'italien par Nathalie Bauer, Les Arènes, 24,90 €