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Publié le mercredi, 7 février 2024 à 09h37

Les Cœurs bombes de Dario Levantino. Twist parmi les décombres

Par Stefano Palombari

Dario Levantino, Les coeurs bombes - couverture

Il n’y a pas eu de bombardement ni de tremblement de terre récemment à Palerme. Et pourtant, dans le centre de la ville, des joyaux de l’art arabo-normande jonchent des tas de débris, des immeubles éventrés, des décombres, des décharges à ciel ouvert. Dans l’un de ses textes, l’écrivain Giorgio Vasta prétend que son penchant pour le déclin et le délabrement pourrait être dû à sa naissance dans cette ville.

Tout ce que l’on trouve en centre-ville, Rosario, le jeune héros du roman de Dario Levantino, le vit décuplé, car il vit à Brancaccio. Ce quartier, à la périphérie Est de la ville, est synonyme de violence, de dégradation, de chômage… bref d’indigence. Mais Rosario a d’autres ambitions. Il ne veut pas devenir l’un des caïds locaux. Il a besoin de comprendre, au sens étymologique du terme. Il est la « belle âme » de la Phénoménologie de l’esprit. C’est pour cela qu’il souffre. Sa sensibilité, son empathie sont une tare parmi les « cœurs-secs », les impassibles.

Bien qu’il n’ait que 16 ans, Rosario s’occupe de Maria, sa mère malade. Elle a arrêté de s’alimenter depuis la découverte de la double vie de son mari. Le père de Rosario avait une autre femme et un autre enfant, Jonathan. Maria approche la cinquantaine mais elle est déjà vieille. Son âme et son corps sont usés, élimés par le chagrin. Elle passe ses journées vautrée sur le canapé dans une sorte de demi-sommeil perpétuel.

Cet équilibre fragile ne va pas perdurer. Mère et fils vont se heurter à l’inhumanité de l’administration. Si l’enfer est pavé de bonnes intentions, celles des institutions censées protéger les citoyens ne sont pas des plus palpables. Rosario et sa mère en font l’amère expérience tout au long de ce roman. L’aide de l’État est un cadeau empoisonné qui ne fait qu’ajouter de la souffrance à leurs tourments.

Les coeurs bombes est le deuxième volet d’une trilogie commencée avec De rien ni de personnes et qui se terminera par La violence de mon amour, paru en Italie il y a quelques années. Le rythme rapide de la narration, le style concis et efficace de l’auteur qui mélange italien et sicilien est un pur plaisir qui contraste avec le malheur du fond. Plaisir qui ne se perd pas dans la version française grâce à une traduction particulièrement soignée et au choix judicieux d’avoir gardé les phrases en dialecte sicilien. Vivement le prochain volet !

Informations pratiques
  • Dario Levantino, Les Cœurs bombes, traduit de l'italien par Lise Caillat, Rivages, 21 €