Publié le jeudi, 5 avril 2018 à 09h27
La vie parfaite, roman de Silvia Avallone
La vie parfaite existe-t-elle ? Les personnages du dernier roman de Silvia Avallone tentent, chacun à sa guise, de s’approcher de cet idéal. Mais le point de départ de la plupart d’entre eux en est très éloigné. C’est pour cela qu’en italien le titre ‘da dove la vita è perfetta’ c’est à dire « d’où la vie est parfaite », précisant le point de départ, offre un contexte à cette phrase - qui d’ailleurs est tirée d’un poème de jeunesse de l’auteur - et en dévoile en même temps le sens.
Dans ses romans, Silvia Avallone raconte toujours l’envers de la médaille. La Toscane de Acciaio (D’Acier) n’a que très peu de traits en commun avec la carte postale dont raffolent les touristes. Tout comme le Piémont de Marina Bellezza, excellent roman sur le retour à la terre et les enjeux à long terme. Avec La vie Parfaite, l’auteure s’attaque à Bologne, ville magnifique aux arcades et aux toits rouges, où il fait bon vivre et étudier car elle abrite la plus ancienne université du monde.
Les Lombriconi, surnom des immeubles du quartier Labriola où se déroule une bonne partie de ce roman, sont des serpents en béton armé. Des gros et longs vers de terre. Nous sommes ici dans la banlieue de Bologne. On est loin, à environ 55 minutes de trajet en bus, de son superbe centre ville où tout est propre et les gens élégants… où donc la vie est parfaite si, et seulement si, on la regarde d’une banlieue comme les Lombriconi. A l’intérieur des confortables appartements des beaux quartiers se jouent d’autres drames.
Ce centre, où se concentrent tous les fantasmes des banlieusards, devient donc un lieu mythique, inaccessible à la plupart des jeunes habitants des Lombriconi. En effet, le plus souvent, lorsqu’on tombe dans ce quartier sale et délabré, suite à un accident de la vie (un divorce, un licenciement, un décès, une réclusion), on n’en sort plus. Les Lombriconi accueillent et enferment.
Rares sont ceux qui réussissent à échapper à ce destin géographique. Parmi eux Zeno, tout juste 18 ans, le garçon rêveur, qui, après une tragédie, la tragédie, s’est réfugié dans la lecture et l’écriture. Une tragédie qui a volé en même temps à sa mère la parole et, à lui, la joie de vivre. L’ado s’est enfermé dans une sorte d’apathie. A cet âge-là, on ne peut pas renoncer définitivement à la vie. Zeno vit par procuration en ramassant les traces de vie qu’il « guette » par la petite fenêtre des toilettes. Il est le seul jeune des Lombriconi à avoir la chance de fréquenter le prestigieux lycée classique du centre de Bologne. Son copain Manuel, lui aussi brillant, a renoncé. Le poids du quartier étant trop lourd pour qu’il puisse s’envoler. Et il a plongé... et replongé.
Après avoir dénoncé le drame de la dé-industrialisation dans son premier roman et les ravages de l’agriculture intensive dans son deuxième, la jeune écrivaine piémontaise explore ici le thème de la maternité. La maternité dans toutes ses formes. La maternité souhaitée, involontaire, naturelle, médicalisée, prématurée… En tournant les pages, nous assistons à un défilé de mères, les plus diverses et variées, mais toutes terriblement vraies. La mère nerveuse, la mère silencieuse, la mère frustrée, la mère inachevée, la mère décomplexée… Un fil rouge, presque imperceptible, néanmoins très tenace, lie chaque mère à son enfant. En quelque sorte, elle lui dicte l’avenir. La malédiction de l’origine nous hante. Que ce soit pour la continuer ou pour la combattre et s’en écarter.
La vie parfaite est un livre violent et délicat à la fois. L’auteure, en totale empathie avec ses protagonistes, nous en dévoile l’intime et profonde humanité, cachée, ensevelie sous la couche épaisse de la brutalité sociale. Une empathie contagieuse qui déteint sur le lecteur dès les premières lignes.