Publié le lundi, 14 mars 2011 à 11h09
D'Acier, roman de Silvia Avallone
Anna et Francesca ont treize ans, presque quatorze. C’est l’été à Piombino, ville désolée de Toscane bien loin de l’image de carte postale que l’on peut s’en faire quand on n’est pas d’ici. Chez elles, pas de vignes et Florence et son art sont bien loin. Leur quotidien : des barres d’immeubles insalubres et surtout l’aciérie, personnage monstrueux qui engloutit jour et nuit tous les hommes du coin.
Les hommes, ils ne sont pas à l’honneur dans le roman de Silvia Avallone. Le père d’Anna est un fantôme, un voyou du dimanche qui réapparait quand ça lui chante. Celui de Francesca nous est présenté dès les premières lignes, puissantes, comme un homme qui épie sa fille aux jumelles pendant qu’elle joue sur la plage, obsédé par ce corps qui se transforme, irrémédiablement, malgré les coups qu’il lui porte, ce géant sans cervelle.
Mais Anna et Francesca, les reines de la cité, éclaboussent toute cette laideur de leur jeunesse insolente. Treize ans et demi mais déjà starlettes, elles jouent de cette aura qu’elles savent par instinct éphémère, avant que la réalité des autres ne les rattrapent. En attendant, elles rêvent. D’être écrivain ou femme politique pour l’une, de passer à la télé de Berlusconi pour l’autre, ou simplement d’aller ensemble, pour la première fois à l’île d’Elbe, inaccessible et pourtant à quelques brasses de leur cité plombée.
Autour d’elles, il y a aussi le grand-frère d’Anna, Alessio, Apollon échoué au royaume d’Hadès, amoureux abandonné, déjà usé à vingt ans par des années passées au haut fourneau, à faire couler l’acier et à se défoncer pendant les pauses. Sandra, leur mère, la militante d’extrême gauche, qui assure et qui se maudit d’aimer malgré tout son vaurien de mari. Rosa, enfin, la mère de Francesca, la petite calabraise arrachée à son village par Enrico, cet homme fruste qui les enferme dans sa folie et qu’elle ne quitte pas. Pour aller où ? C’est trop tard semblent-ils tous penser. Les parents, les vieux, les grands-frères, résignés, lassés, tous. Pas Anna et Francesca, pas si elles sont deux, toujours.
« D’acier » est un roman physique, qui vous happe dès la première page, pour vous relâcher, quatre cents pages plus tard, un peu sonné, avec le sentiment d’être face à un futur grand écrivain qui, à tout juste vingt cinq ans, fait preuve d’un sens de la narration assez exceptionnel et d’une capacité à saisir l’essence de l’adolescence, ces amitiés fusionnelles qui nous construisent et cette obsession de la beauté, cette fascination régressive qu’elle peut susciter chez ceux qui n’en sont plus.
D’acier pourrait n’être qu’un portrait social sombre d’une Italie de banlieue, de laissés pour compte sans envergure, pauvres humains tentant de se dépêtrer d’un monde qu’ils n’ont pas vu venir. Il est bien plus que cela. L’acier est constitué d’au moins deux éléments. D’acier aussi : d’une réalité désespérante et d’une petite poésie qui s’élève malgré tout, et l’ensemble, ça donne un sacré bon roman.