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Publié le mercredi, 1 décembre 2021 à 09h49

Continent'Italia, dernier ouvrage de Samuel Brussell

Par Riccardo Borghesi

Continent'Italia - couverture

Samuel Brussell nous avait déjà fait part de son amour démesuré pour l'Italie dans son "Alphabet triestin", où il nous racontait sa passion pour cette Italie de frontière qu'est Trieste, encore imprégnée de senteurs habsbourgeoises, pour ce monde culturel au seuil de l'extinction, dont il nous avait conduits à la recherche des traces, comme dans une sorte d'archéologie de l'imaginaire. Dans "Continent'Italia" l'objet de ses errances est l'Italie entière, parcourue comme en un pèlerinage erratique, dont les étapes s'enchaînent suivant l'intuition matinale, dictées par l'humeur du réveil, par la couleur des rêves de la nuit, par les souvenirs refaisant surface.

Et on sait bien que les souvenirs et les rêves ne suivent pas une logique apparente, comme la nostalgie d'ailleurs, ou comme l'éros. A tout cela s'ajoute le glanage d'autres signes menus, en écoutant les dialogues des passagers d'un train, en lisant les pages d'un livre ramassé sur un étal.

Et donc on passe de Vintimille à Gênes, de Naples à Trieste, aux lacs lombards, à Rome, à Taormina, à Volterra. Et Naples revient, comme Gênes ou Rome, revient comme dans un songe qui semble se répéter (on sait que parfois des rêves jamais réalisés nous font croire qu'ils sont récurrents).

Une circularité du récit s'établit dans la répétition du ferrailler des trains sur des lignes secondaires, ou dans le bruit - feutré par la chaleur des nuits du mois d'août - de la valise tirée sur le trottoir, à la recherche d'une chambre près de la gare. Ce voyage obsédant à travers la péninsule, sans logique géographique ni temporelle, comme sous l'emprise d'une excitation irrépressible qui pousse à l'action, a quelque chose d'hypnotique, d'onirique. Parce-que l'Italie pour Brussell est un rêve éveillé. Et dans les rêves, le quotidien est déformé, altéré, rendu parfois méconnaissable.

Et cette Italie onirique, où nous conduit l'auteur, est peuplée des fantômes d'un passé plus grand qu'elle. Un passé immense et écrasant qui annule le présent, le cache ou le dénature. Le présent n'intéresse pas l'auteur, le présent n'est qu'une interférence sur l'écran de ce passé lointain, où l'Italie a forgé l'Occident. Alors tout est pardonné, des trains en retard chronique, aux boutiquiers nostalgiques aux étals chargés de bibelots fascistes. Tout est remarquable, même la plaisanterie banale dite avec désinvolture par le marchand de service.

Ce n'est pas une idéologie ou une esthétique qui guide le regard de l'auteur, c'est une obsession amoureuse adolescente, si tyrannique qu'elle finit par adapter la réalité à ses propres désirs. Cette vitalité débordante, cette passion ardente et sincère, font de "Continent'Italia" un objet littéraire singulier et surprenant, que le lecteur devra aborder plus comme un pamphlet qu'un récit de voyage ou encore moins un guide touristique. Parce-qu’il aura probablement du mal à retrouver la trace de cette Italie racontée avec tant d’ardeur, en dehors du cœur passionné de l’auteur. Insaisissable, comme au réveil, l'empreinte du rêve qui vient de s'évanouir.

Informations pratiques
  • Samuel Brussell, Continent'Italia, Stock, 19,90 €

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