Publié le jeudi, 10 novembre 2022 à 09h49
Voyage au Molise de Francesco Jovine
Avant la parution de ce volume, rien n'était
disponible de Francesco Jovine dans les
catalogues des maisons d'édition françaises et
cela depuis un certain temps (il suffit de
penser que la dernière traduction de son
principal roman "Le terre del Sacramento"
date de 1953). Cela malgré l'importance et la
singularité de l’œuvre de Jovine dans l'histoire
de la littérature italienne du XXe siècle. Une
œuvre réaliste, empreinte d'engagement social,
porteuse d'un "méridionalisme" sincère et
profondément ancré aux exigences morales de
l'auteur.
Il est certain que son extranéité aux
mouvements littéraires et aux modes de son
temps, et sa marginalité par rapport au monde
culturel de son époque ont contribué à cet
oubli.
"Voyage au Molise" est un texte mineur, compilé à titre posthume dans un volume qui rassemble 11 articles faisant partie d'un reportage publié dans le "Giornale d'Italia" en 1941. Mais c'est un texte d'une grande vitalité, où transparaît immédiatement la relation d'affection profonde que Jovine entretient avec sa terre natale, dont il était absent depuis plus de vingt ans.
L'absence et l’éloignement finissent par générer dans le regard de l'auteur ce recul si nécessaire à une description la plus objective possible. Un regard d'historien et d'anthropologue s'entremêle dans ces pages avec la précision du reporteur, et l'ironie et la tendresse des souvenirs d'enfance. Parfois on lit aussi une sorte d'exotisme de retour, fruit de la contraposition entre la vie de la capitale où il résidait, et ces terres si marginales à la contemporanéité.
De plus, le voyage en train suscite une vision ancrée au sol, au lent passage du temps, qui adhère parfaitement à l'esprit de ces terres. Une poétique des temps morts, des longues attentes oisives dans les gares désertes, s'impose dans certaines pages presque métaphysiques.
Le Molise est peut-être la région la moins connue et la moins touristique d'Italie, soit à cause de l'absence de ces sites d'attraction (comme la tour de Pise ou le Colisée) que le monde entier connaît, soit à cause d'un ''genius loci'' enclin à la dignité et l'isolement, ou enfin par l'héritage d'une histoire faite de marginalité et de pauvreté.
Ces lieux au charme archaïque et réservé, fait de dignité et de silence, à la beauté brute et essentielle, demandent du temps pour être compris et aimés, ce qui est essentiellement étranger au tourisme de masse rapide et superficiel.
PS1: En 1948, Jovine est invité à rédiger l'introduction du guide "Abruzzo e Molise" du Touring Club Italien, avec Ignazio Silone (pour les Abruzzes). Cette introduction, certainement distillée à partir du présent "Voyage au Molise", aurait été un bel et intéressant appendice au présent volume.
PS2: Je signale également la belle traduction de Jean-Pierre Pisetta, précise et respectueuse du texte.