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Publié le lundi, 10 avril 2023 à 10h09

Sous ma carapace de Lisa Ginzburg. Une sœur peut en cacher une autre

Par Murielle Hervé-Morier

Sous ma carapace - couverture

Malgré des différences irréductibles, Maddalena, l’aînée, dite Maddi, et Nina, sa cadette, sont deux sœurs que le vocabulaire courant qualifie habituellement de « fusionnelles ». Deux sœurs avec un léger écart d’âge, le genre qui finit par ne plus se voir au fil du temps.
Seulement, en dehors d’une beauté physique remarquable héritée de leur génitrice et un goût partagé pour la discipline sportive, elles ont un caractère aux antipodes, façonné dès l’enfance. Ainsi Maddi est-elle de nature introvertie alors que Nina a tendance à vouloir attirer l’attention. Calme et posée, Maddi prend sur elle, tandis que Nina est impulsive, frondeuse, en ébullition permanente. Quand Maddi fait preuve de sagesse et de pondération, l’indomptable Nina multiplie les caprices…

De nos jours, Maddi, la narratrice, vit à Paris, Nina à New York. Malgré la distance et selon l’humeur – béni ou maudit soit WhatsApp et toutes ces diableries technologiques – les deux femmes restent immuablement en contact. Lors d’un retour de Maddalena à Rome, celle-ci regarde en arrière et dévoile ce chemin de vie commun, un parcours jonché d’épreuves que chacune a affrontées à sa façon. Les lieux de ce passé qui ont durablement marqué l’enfance et l’adolescence des deux sœurs cimentent aussi la mémoire. Les souvenirs de Maddalena affluent et les images qui resurgissent font comprendre comment la femme d’aujourd’hui a forgé sa carapace, à l’image de son animal totem, la tortue de compagnie des fillettes. Une carapace aux vertus de bouclier capable de parer les aiguillons de mémoire. Le titre italien Cara pace, avec son jeu de mots sous-jacent, trouve ici son explication. Maddi mène à présent une vie rangée, elle a trouvé cette « chère paix ». La vie de Nina est quant à elle pour le moins mouvementée malgré ses efforts sincères pour trouver une forme d’apaisement.
Alors jusqu’où va la protection de cette carapace  ? Une cuirasse se fissure parfois. À quel point Maddi est-elle si différente de sa sœur ?

L’histoire plonge ses racines dans la trahison amoureuse de leur mère Gloria, qui décide alors de quitter leur père Seba, lequel fera en sorte d’éloigner Maddalena et Nina de la femme qu’il estime coupable d’avoir brisé leur famille. Cela, même si lui-même n’est pas en mesure de se montrer très disponible pour ses enfants.
Après avoir vu se succéder un certain nombre de nounous, Mylène, la gouvernante française, se présente comme la providentielle fille spirituelle de Mary Poppins et de Super Nanny. Celle-ci prend donc le relais parental, assumant à merveille son rôle d’assistante familiale. Non seulement adoptée par les fillettes, ses qualités sont louées par Gloria et Seba, respectivement retenus par des obligations très accaparantes et qui semblent donc s’accommoder de la situation.
Maddi et Nina, en plus d’être les « deux faces d’une même médaille » vont bientôt se sentir « orphelines sans l’être », des formules chocs qui rythment le récit dont le fil conducteur se concentre sur ce manque à combler, cette quête d’un bonheur rendu inaccessible par des blessures enfouies. Alors sur quelles fondations se construire quand, au plus profond de soi, s’enracine un sentiment de vide et d’abandon ? Au point de parler « d’enfance explosée ».

Le talent de Lisa Ginzburg est d’avoir su disséquer un lien sororal qu’au lieu de rompre, le comportement des parents a rendu indéfectible. Dans un style d’une élégance sensible, l’autrice compose un récit introspectif et intimiste très fouillé, habilement dissimulé sous la « carapace » d’une chronique familiale qui n’a rien de banal.

Informations pratiques
  • Lisa Ginzburg, Sous ma carapace (Cara pace), traduit de l’italien par Carole Walter, Éditions Verdier, 21,50 €