Publié le vendredi, 4 septembre 2020 à 09h41
Songes et Fables, dernier ouvrage d'Emanuele Trevi
"Songes et fables je crée sur papier et tandis qu'à ces fables et songes ornés et dessinés je prends si grande part, tel un fou que je suis, j'en pleure et je m'indigne de ces maux inventés.
Mais de lors que mon art ne m'est pas tromperie, en serai-je plus sage ? Et mon esprit troublé alors plus apaisé ? Ou l'amour, le mépris sur plus justes raisons seraient-ils donc fondés ?
Ah! Ce ne sont pas seulement les fables que j'écris, ou je chante ; mais tout ce qui est crainte et espoir, tout-cela est mensonge, et délirant je vis !
Le songe est de ma vie le trajet tout entier. Oh ! Seigneur, quand le jour du réveil va m'échoir, fais que je trouve enfin le repos dans le vrai."
Ce sonnet de Metastasio est le fil conducteur et le moteur du livre de Trevi qui vient de paraître chez Actes Sud. Un livre au style hybride, fréquent dans l’œuvre de Trevi (on pense à "Quelque chose d’écrit" par exemple), à mi-chemin entre autobiographie, reportage et essai.
À l’origine, une promesse faite au critique et écrivain Cesare Garboli (véritable monument de la culture italienne de l'après-guerre), qui à la fin de sa vie, demanda à Trevi d’écrire un texte sur le sonnet de Metastasio, ce qu’il n’avait plus le temps de faire.
Après une longue gestation (Garboli est mort en 2004) Trevi a tenu sa promesse avec un livre qui est une longue réflexion, un monologue aux accents nostalgiques, sur la figure de l’artiste, sur la vanité de la vie, sur le rôle mystique et révélateur de l’art, sur le temps qui passe. Des arguments qui ressemblent à un prétexte pour revivre sa jeunesse, pour rappeler à la vie des personnages qui lui sont chers, piliers de sa formation artistique et humaine.
Comme dans le "Requiem" de Tabucchi, mais sous une forme moins lyrique, nous apprenons à connaître les fantômes de Trevi, personnages plus ou moins importants du monde culturel italien, tous à lui liés émotionnellement : le photographe Arturo Patten, la poète Amelia Rosselli, le critique et écrivain Cesare Garboli. Tous les trois ayant en commun, malgré leurs différences fondamentales, d’avoir fait coïncider vie et œuvre, mais aussi une étonnante unité topographique. Tous les trois en effet habitent ou rencontrent Trevi à quelques mètres l’un de l’autre, dans le cœur baroque et scénographique de Rome. Métastase (poète et librettiste du XVIIIeme siècle) est également né dans ces ruelles.
Cette congruence géographique révèle la vraie nature de l'œuvre. Biographie, nostalgie, regret. Saudade due aux prémices du vieillissement. Écouter alors Trevi nous parler de vieux ciné-clubs enfumés, des films de Tarkovski, de festivals de poésie pris en otage par des fauteurs de trouble conformistes, de rencontres révélateurs avec des personnages hors du commun, prend le charme du témoignage, de 'exutoire
biographique, de la confidence faite par un inconnu dans un instant hors du temps.
À ce type de récits, on ne demande ni cohérence ni systématisation, l’humanité nous suffit. Elle est si précieuse.
PS 1: la bonne traduction semble avoir lissé le texte et effacé toute trace de vulgarité... pourquoi? Les "cazzi", même en italien, ne sont pas des pâquerettes, et s’il y en a dans le texte (et ils sont nombreux) c'est qu'il y a une bonne raison.
PS 2: "La vie est-elle un rêve ou les rêves aident-ils à mieux vivre ?" C'est ce que demandait Gigi Marzullo à ses invités souvent embarrassés, dans les sombres nuits télévisées de ces années lointaines. Avec les mêmes ingrédients, vous pouvez produire le sublime ou son contraire.
Informations pratiques
Emanuele Trevi, Songes et Fables, traduction Marguerite Pozzoli, Actes-Sud, 23 €