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Publié le vendredi, 26 janvier 2018 à 09h47

Sans aucun remords, roman d'Edoardo Maspero

Par Riccardo Borghesi

Sans aucun remords - couverture

Si vous fréquentez les journaux italiens en ligne, vous aurez vu défiler sur la colonne de droite (le triste cloaque digne de "Voici" et de "Gala", qui souille maintenant presque tous les titres) une de ces galeries de photos dites des "rich boys". Il s'agit des riches rejetons décérébrés qui étalent leur richesse de manière grotesque dans des photos posées sans honte et toutes pareilles : voitures rugissantes, magnums de champagne, bijoux, pistolets en or, piscines, hélicoptères et nudité.

Le monde dans lequel ce roman se développe est donc celui des "rich boys" de Milan, ou des rejetons du "Milan qui compte" (la Milano bene) si vous préférez. Il faut dire que le point de départ n'est pas des plus attrayants, provoquant la même répulsion de ces malheureuses galeries de photos.

Mais une fois surmontée cette réticence initiale, la lecture se révèle captivante. Nous sommes ici à mi-chemin entre un reportage journalistique, un traité d'anthropologie et le journal d'un adolescent. Le point de vue est celui d'un élément de la bande, pleinement intégré, complice et spectateur des aberrations les plus déficientes, mais légèrement perplexe, traversé par des doutes implicites, par un mal existentiel indétectable qui le fait regarder ce spectacle obscène avec détachement, mais sans réprobation.

La longue litanie des soirées disco, d'apéritifs, de vêtements de luxe, de fêtes au bord de la piscine, de "post et like" sur Facebook, de cocaïne, de sexe mercenaire, de violences gratuites, d'argent gaspillé, d'idioties dites et mises en scène, devient presque hypnotique et impose toute sa beauté littéraire. La complicité du narrateur, bien que plus passive qu'active, rend presque impossible pour le lecteur de s'identifier à lui, d'éprouver la moindre compassion pour son mal de vivre. La limite du livre se trouve, en revanche, dans les pages introspectives, trop élémentaires, trop brutes, comme tirées du journal intime d’un adolescent.

Ceux qui disent que la lutte des classes n'existe plus sont ici démentis. La lutte des classes existe, mais elle s'est inversée : les riches combattent les pauvres pour les appauvrir encore plus, pour les humilier, les dompter et préserver leur domination le plus longtemps possible.
Les riches élèvent donc leurs enfants dans le mépris des pauvres, dans l'absence absolue de moralité, qui pourrait mettre un frein et générer de la dangereuse compassion. Les riches décident ce que les pauvres doivent admirer et convoiter, leur donnent les modèles à suivre, grâce à la télévision et aux médias sociaux. Comment cette bataille se terminera-t-elle ?

Les longues files de pauvres en attente à l'extérieur des boîtes de nuit où ils s'entassent dans l'espoir de voir des footballeurs, des mannequins, des personnages de télé, des show girls, des fashion bloggers ou des simples riches, donnent la bataille désormais comme perdue. Au contraire le doute d'avoir peut-être exagéré qui commence à s'insinuer timidement au forum de Davos, va, espérons-le, dans la direction opposée.

PS : le titre français "sans aucun remords" remplace, plat et explicite, le titre original "noir goudron", peut-être jugé trop implicite. Pourquoi les éditeurs se bornent-ils à faire cela ?

PS2 : j’ai envie de dire que ce livre est le reflet spéculaire de « la paranza dei bambini » de Saviano. Si d’un côté il s’agit du délire de toute-puissance de ceux qui n’ont rien, de l’autre il s’agit du délire de ceux qui ont déjà tout, et d’avantage.

Informations pratiques

Sans aucun remords, Edoardo Maspero, Editions de Grenelle, 16 €
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