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Publié le vendredi, 7 juillet 2023 à 10h04

Rendez-nous la Joconde ! et autres malentendus franco-italiens de Stefano Montefiori. Chers cousins

Par Murielle Hervé-Morier

Rendez-nous la Joconde ! et autres malentendus franco-italiens de Stefano Montefiori - couverture

Comme le promet son titre, ce livre s’ouvre sur un malentendu quand des vieux amis de l’auteur/narrateur, journaliste italien installé en France depuis longtemps, prennent pour de l’arrogance la rondeur joviale d’un patron de brasserie de Maisons-Laffitte, heureux de leur souhaiter la bienvenue dans la langue de Dante et de Berlusconi. «Benvenuti!»

Entrée en matière qui tend à démontrer que les Français auraient donc, selon les Italiens, l’agaçante manie de regarder les gens de haut. Préjugé très ancré de l’autre côté des Alpes d’ailleurs. Au point que pour briser la glace avec les Italiens, j’ai l’habitude de poser une devinette « Quelle différence y a-t-il entre Dieu et un Français ? Réponse : Dieu ne se prend pas pour un Français. » En effet même si la réalité est par bonheur bien plus nuancée, les stéréotypes ont la vie dure. Ceci dit, ils reposent souvent sur une base de vérité. Les Français auraient en effet tendance à considérer leur pays comme un phare dans la nuit, censé éclairer le reste de l’humanité, forcément égarée, et pendant qu’ils développent un complexe de supériorité, les Italiens nourrissent quant à eux « le complexe du cousin moins fortuné qui ne supporte pas le spectacle du pique-assiette profiteur. Plus ou moins consciemment, ils éprouvent de la colère, celle de se sentir floués et insuffisamment récompensés pour leur génie. »

Entre essai et récit, Stefano Montefiori, correspondant pour le quotidien milanais le Corriere della Sera, souhaite donc dédramatiser le mal irréductible – et imaginaire – subi par ses compatriotes qui vont jusqu’à accuser (à tort*) les Français d’avoir volé la Joconde ! Pour couronner le tout, il s’avère difficile pour les Italiens de faire confiance à un peuple dont le savoir-faire en matière de cappuccino est inversement proportionnel à l’idée qu’il se fait de sa grandeur nationale. «  l’Homme est allé sur la Lune et mettra bientôt le pied sur Mars, mais la technologie pour avoir un cappuccino décent n’est pas encore arrivée à Paris. » À ce propos, on saura gré à l’auteur d’avoir passé sous silence les spaghetti (mot volontairement écrit sans s pour ne pas faire grossir la liste de nos sacrilèges) que certains barbares de Français rompent pour remédier aux mauvaises dimensions d’un récipient peu adapté à la cuisson de pâtes aussi longues et qu’ils coupent même pour les déguster proprement… ou encore ces glaces « à l’italienne », qu’on doit à un type « qui ne devait pas beaucoup aimer les Italiens » en avait conclu un ami de Turin en découvrant la curieuse appellation de cette crème glacée sous nos latitudes.
On l’aura compris, les Italiens ne sont pas comme nous et vice versa. Du reste, les Français, dans leur grande candeur, imaginent que l’Italie s’invite à leur table quand ils se réapproprient la recette des pâtes à la carbonara, éhontément rebaptisée « carbo », or, là encore, ils profanent en toute inconscience un trésor national.

Ainsi verra-t-on, au fil de ces pages bourrées d’anecdotes à la fois instructives et distrayantes, que la gastronomie n’est pas l’unique source de quiproquo entre peuples voisins. Dans le domaine des loisirs : le foot, la télévision, la musique… de chaque côté des Alpes, on s’illustre au mieux pour tenter de sortir du lot. Ainsi en France connaît-on la gauche caviar, beaucoup moins le foot champagne, baptisé ainsi par les Italiens en référence au style offensif et aérien des footballeurs Michel Platini, Alain Giresse et Jean Tigana. Alors que le journaliste sportif Gianni Brera déclarait en son temps « L’Italie est une équipe femelle : tout au plus sait-elle s’opposer, mais elle n’impose pas son propre jeu. » On constate alors que les Italiens ne sont pas toujours tendres avec leurs propres ressortissants et on pensera aussi à l’éternel clivage Nord-Sud opposant les bouffeurs de polenta (polentoni) qui vivent au nord aux terroni (culs-terreux) du sud du pays. Configuration qui fait écho en France à Paris, et le raffinement qu’on lui prête, aux rustauds de province.

Cette lecture fait également prendre conscience que nos deux pays qui appartiennent au continent européen auront, chacun à sa manière et dans le respect des différences et similitudes qui les caractérisent, à relever dans le futur de sérieux défis. Pour la politique intérieure, la France, empêtrée dans son passé colonial, a ainsi bien des comptes à purger, l’Italie, confrontée tout comme la France, à l’immigration et aux vagues de réfugiés, ne manquera pas non plus d’affronter les enjeux de la mondialisation. Et Stefano Montefiori de conclure sur une note optimiste : « l’Europe de Naples et Marseille, de Rome et Paris, me semble en train de se forger une âme. » Peut-être. Si Dieu veut…

  • Or l’Histoire de France est formelle : le célébrissime tableau de Léonard de Vinci a bien été acheté par le roi François 1er.
Informations pratiques
  • Stefano Montefiori, Rendez-nous la Joconde ! et autres malentendus franco-italiens, Éditions Stock, 19,90 €