Nuages baroques et Le point de vue de Dieu d’Antonio Paolacci et Paola Ronco

Par Murielle Hervé-Morier

Au printemps 2024 est paru chez Payot & Rivages Le point de vue de Dieu, une nouvelle aventure de Paolo Nigra, en même temps que l’édition en poche de Nuages baroques. Idéal pour une visite guidée de Gênes. Sous l’angle de l’investigation policière.

Aux côtés de sa fine et attachante équipe d’enquêteurs, Nigra, policier un brin atypique, nous prend ainsi par la main pour une balade dans les ruelles de la ville. La découverte de la péninsule ne s’arrête pas là et, selon l’origine des protagonistes, la couleur locale de différents coins d’Italie se voit en effet restituée avec verve et maestria ; la traduction retransmet d’ailleurs brillamment toutes ces subtilités régionales.

Zoom sur Paolo Nigra
Même si tout le monde l’appelle commissaire, celui-ci a un grade supérieur en réalité, puisqu’il est précisément « sous-préfet de police adjoint ». Expert en arts martiaux, Nigra est aussi turinois, génois d’adoption donc, et gay. Il pourrait couler des jours heureux avec son compagnon Rocco, un comédien qui dans une série télé à succès incarne un flic, grand séducteur de femmes. Hélas, malgré l’ouverture d’esprit dont fait preuve d’habitude la sphère artistique, Rocco, confronté à un dilemme cornélien, est empêché de faire son coming out sous peine de casser son image et par ricochet griller sa carrière. Nigra en revanche, faisant fi des préjugés, a bravement dévoilé son orientation sexuelle, sans pour autant bien sûr divulguer l’identité de l’homme de sa vie. Aspect des choses qui donnera lieu à mille conjectures et à maints quiproquos savoureux…

Nigra, qui est très estimé de ses collaborateurs les plus proches, peut même se permettre de river leur clou aux homophobes qui auraient l’imprudence de l’attaquer sur ce terrain. En plus de pouvoir compter sur son supérieur, la loyauté de ses subalternes, la pétillante inspectrice Santamaria et cet hypocondriaque d’inspecteur Caccialepori, lui est totalement acquise. D’autres personnages secondaires bien campés gravitent autour de lui comme ce benêt de commissaire Musso qui, malgré la meilleure volonté du monde, a bien du mal à faire briller sa perspicacité.

Par ailleurs, grâce à sa meilleure amie, Nigra peut entrer dans les grâces du substitut du procureur Evangelisti, car cette femme s’avère la maîtresse du magistrat, homme de culture à l’esprit affûté dont les lumières ne peuvent qu’éclairer le sous-préfet adjoint dans sa lutte acharnée contre le crime.

Une recette efficace
Dans Nuages baroques, Nigra doit élucider le crime d’un jeune homme frappé à mort alors qu’il rentrait d’une fête célébrant les unions civiles des homosexuels.
Dans Le point de vue de Dieu, un épais mystère entoure le décès d’un homme, passé ad patres pendant la messe dominicale… Une hostie trafiquée serait-elle à l’origine du drame ? L’amorce de chaque histoire s’annonce percutante et la prouesse tient en ce que le suspense monte crescendo en même temps que le récit se complexifie dans ses ramifications, cela sans jamais faire perdre le fil au lecteur.

Écrire est souvent un acte politique. Sous couvert d’un divertissement de qualité, les auteurs de Nigra ont ainsi mis en avant des enjeux de société cruciaux, dans la veine des écrivains qui les ont précédés, qu’ils admirent et à qui, à sa façon, le couple rend hommage : Conan Doyle, Carlo Lucarelli, Massimo Carlotto, Fred Vargas et tant d’autres.

À chaque fois, malgré la noirceur des situations, certains effets comiques de bon aloi ponctuent l’intrigue jusqu’à l’épiphanie à laquelle le dénouement nous fait assister.