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Publié le lundi, 6 mars 2023 à 10h22

Mes désirs futiles de Bernardo Zannoni – Nature hostile

Par Murielle Hervé-Morier

Mes désirs futiles - couverture

Par l’entremise d’animaux terriblement humains, Bernardo Zannoni compose un conte philosophique cruel et poétique.
Dans cette histoire, les bêtes parlent. On suit le parcours d’Archy la fouine qui n’a pas la vie facile. Sa mère élève seule sa progéniture dans la tanière familiale, mais son instinct maternel cède sans remords devant l’instinct de survie, car il faut bien se nourrir. Celle-ci n’hésitera pas une seconde à vendre son rejeton, devenu boiteux après une chute malencontreuse, au renard Solomon, un usurier qui n’a pas coutume de faire du sentiment. Réduit en esclavage, Archy doit se soumettre à son maître et a intérêt à filer doux pour éviter les coups.

La fable dépeint un monde sans pitié, en tout point calqué sur la réalité où toute créature consciente d’elle-même est parachutée sans la moindre explication. Archy apprend alors à ses dépens au fil d’expériences plus traumatisantes les unes que les autres. Lors de son initiation, il subit de plein fouet cette terrible loi de la nature : le faible est la proie du plus fort. Cependant pour ne pas continuer à être la victime, Archy se forge le caractère. Par intermittence de fugaces instants de grâce s’invitent lors de jeux sensuels sur fond de renouveau printanier ou encore d’une forêt habillée aux couleurs de l’automne.

Moult métaphores ponctuent également ce récit. Rien n’est jamais dû dans l’existence et tout se conquiert de haute lutte. Pareil à la nature sauvage, tantôt lumineuse tantôt bruissante de sons inhospitaliers, au fond, le renard chez qui Archy atterrit contre son gré n’est ni bon ni mauvais. Il concentre en lui le meilleur et le pire ; à ce titre, c’est l’animal le plus proche de l’humain. Fin roublard et bandit repenti en quête de transcendance, sa cruauté resurgit illico quand un débiteur malheureux n’honore pas ses engagements.
Archy est-il atteint d’une sorte de syndrome de Stockholm ou a-t-il apprivoisé le renard, quand il confie : « Je commençais à être à l’aise en sa présence, et lui ne m’avait pas repoussé ; à présent, nous nous adressions l’un à l’autre d’une façon différente, comme deux égaux, mus par des intérêts communs. » ?

Malgré son imparfaite animalité et sa propension à s’accommoder avec sa conscience, Solomon entend guider son apprenti vers la lumière. Jusqu’ici tout un univers échappait à Archy. Avec la découverte d’un livre, celui-ci apprendra l’écriture et la parole divine qui n’est pas audible par tous. Révélation qui, pour Archy, va irrémédiablement entraîner l’angoisse de sa propre finitude
Et à d’autres questions de faire leur apparition. L’insouciance est certes agréable mais l’ignorance est-elle un abri ? Mieux vaut-il savoir que de rester « bête » (au sens littéral) ? Et, si rien ne dure en ce bas monde, à quoi riment les traîtresses promesses de l’aube ? Mener ou ne pas mener une vie d’animal, telle est la question. Et Dieu dans tout ça ? Il est omniprésent dans l’intrigue. Dans un monde hostile, le bonheur c’est peut-être parfois accueillir une part d’incompréhensible.

Informations pratiques
  • Bernardo Zannoni, Mes désirs futiles (I miei stupidi intenti), traduit de l'italien par Romane Lafore, La Table ronde, 22,50 €