Le Massacre des Italiens de Gérard Noiriel

Par Stefano Palombari

Le pogrom qui a eu lieu le 17 août 1893, devient un prétexte pour l'auteur de cet ouvrage à des réflexions plus générales. L'histoire est simple et dramatique, ce jour-là, à Aigues-Mortes, des travailleurs français ont attaqué des travailleurs italiens en en tuant, officiellement, huit. Aigues-Mortes était connue pour ses salines qui donnaient du travail à beaucoup de gens notamment dans la période du lavage du sel, vers fin août, quand des travailleurs convergeaient sur la ville d'autres régions de France, plus particulièrement d'Ardèche, et de l'Italie. La société qui exploitait les salines, la CSM (l'actuelle Baleine), avait l'habitude de mettre en concurrence les travailleurs pour faire baisser les salaires. C'est ça qui a déclenché le massacre.

L'événement a ensuite pris une tournure politique. Les journaux ont amplement contribué à cette lecture des faits en annonçant, pour la presque totalité, que des Italiens avaient agressé des Français. Ces derniers en se défendant avaient tué les Transalpins. La classe politique aussi n'a pas joué un beau rôle, notamment le Maire de Aigues-Mortes qui a placardé la ville d'affiches justifiant la tuerie. Gérald Noiriel se concentre sur ce fait-divers tragique et l'observe sous tous les angles et notamment sous celui de la transmission. La mémoire sélective fait que cet épisode est souvent oublié dans les récits qui concernent ce moment historique.

Mais là où ce livre, à mon avis, devient particulièrement intéressant c'est au moment où cet événement perd sa spécificité. En se basant sur les interprétations différentes, et souvent contradictoires, dont cette tragédie a fait l'objet, l'auteur formule une série de réflexions fort intéressantes, notamment sur le rapport entre les élites et la population. A propos des Italiens tués lors des affrontements sanglants du 17 aout 1893, Noiriel parle explicitement de « victimes de l'identité nationale », avec un rappel plus qu'évident à ce qui se passe de nos jours.

En faisant un parallèle avec la situation actuelle, il cite, et conteste bien évidemment, la thèse du livre de Max Gallo Fiers d'être Français ! qui utilise la tragédie d'Aigues-Mortes de façon instrumentale, comme on l'avait fait à l'époque, mais avec des conclusions inverses. Il prétend opposer les Italiens d'antan, qu'il considère comme un modèle d'intégration, aux peuples de banlieue et leurs émeutes, dont il ne faut pas nier la «  dimension ethnique », qui risquent de provoquer la « balkanisation de la France ». Dans un autre registre, Noiriel cite un article du site Bellaciao qui s'intitule « Mohammed s'appelait alors Giovanni », comme exemple de tentative de « susciter un réflexe de solidarité avec [les immigrés] d'aujourd'hui » en rappelant les souffrances de ceux d'hier. Un livre très intéressant et stimulant et de surcroît admirablement bien écrit.