Publié le mardi, 5 mars 2024 à 09h36
Luigi qui pense tout le tant à toi de Gigi Borruso
L'émigration italienne vers l'Allemagne après la Seconde Guerre mondiale, entre les années 1950 et 1970, a été un phénomène d'une ampleur impressionnante. On estime que plus de 4 millions de travailleurs italiens s'y sont installés, ce qui en fait la plus grande communauté d'émigrants italiens en Europe et la plus grande communauté d'étrangers en Allemagne (jusqu'à l'arrivée des travailleurs turcs).
Cependant, sur ces 4 millions, au moins 3 millions et demi retournèrent en Italie. Cette immigration, essentiellement composée de travailleurs non qualifiés, a en effet été conçue et organisée par les autorités allemandes comme transitoire, afin d'éviter qu'ils s'installent définitivement avec leurs familles.
On parle donc d'une émigration d'hommes seuls, loin de leurs êtres chers, non intégrés dans la société allemande, avec tout ce que cela implique. Solitude, nostalgie, désarroi face à une société et un climat étrangers. Tel est le quotidien de Luigi, l'unique personnage de cette courte pièce de Borruso.
Mais Luigi est en même temps animé par un optimisme inébranlable et par l'espoir de la rédemption d'une condition atavique de misère et d'assujettissement. Cette rédemption est symbolisée par le lopin de terrain convoité, qu'il rêve d'acheter avec les économies de son dur labeur, après son retour au pays.
Luigi admire l'efficacité allemande, le salaire certain sur lequel on peut compter, l'organisation du travail et le respect de la sécurité des travailleurs. Quelle différence abyssale avec le travail journalier en Sicile, sans sécurité, sans respect, vécu comme une faveur faite par les patrons.
Pourtant, les années passent inexorablement. Loin de Luigi, ses enfants grandissent et sa chère Antoinette vieillit comme lui. La vie qu'il espérait s'éloigne chaque jour comme une chimère, prenant la consistance du rêve.
Derrière l'histoire de Luigi, nous lisons la nature cyclique du phénomène migratoire, où l'ancienne terre d'émigration devient à son tour une terre d'immigration, où l'homme autrefois pauvre devient l'homme riche du moment, où l'ancienne victime de la discrimination devient à son tour un bourreau sans mémoire.
PS: La bonne traduction réussit à bien rendre la langue claudicante d'un homme sans études, hybridée par le dialecte sicilien, coloré et vivant
Informations pratiques
Gigi Borruso, Luigi qui pense tout le tant à toi, traduit de l'italien par Alain Fouliard et Guido Grassadonio, Alidades, 6 €