Publié le mardi, 29 novembre 2022 à 09h54
Les Scaldini. Ces Ritals qui ont chauffé Paris pendant un siècle de Maurizio Catani et Salvatore Palidda
Ce livre passionné et passionnant, de solide structure scientifique, à la croisée de disciplines telles que l'anthropologie, la sociologie et l'histoire, à laquelle s'ajoutent des pages de mémoires, à la saveur littéraire, ne cache pas la vision sociopolitique apportée par les auteurs sur les événements relatés.
Quand on parle d'immigration, on touche à l'un des nerfs à vif de la société contemporaine et à l'un des phénomènes les plus rentables pour la politique (avec un petit p) de ces cinquante dernières années. Exagérer, déformer ou banaliser le récit des mouvements migratoires fait partie du bagage d'une certaine idéologie.
Ces pages vont dans la direction opposée.
Elles le font en nous parlant d'un phénomène
migratoire très particulier, extrêmement
cohérent à la fois dans ses origines
géographiques et son activité professionnelle,
mais aussi dans ses relations avec la société
d'accueil.
Les scaldini étaient des travailleurs de
l'ombre qui, à Paris, pendant près d'un
siècle, dans les coulisses des quartiers
résidentiels et aisés, ont alimenté en charbon
et fait fonctionner les chauffages centralisés
des bâtiments, privés mais aussi publics - par
exemple, la cathédrale Notre-Dame a été
chauffée au charbon pendant plus d'un demi-siècle
par des Scaldini d'origine émilienne.
Les scaldini (ce nom est celui qu'ils se donnaient eux-mêmes en l'absence d'un nom officiel pour une profession qui n'a jamais été reconnue officiellement) venaient tous de quelques villages pauvres des Apennins tosco-émiliens, presque exclusivement des provinces de Parme et de Plaisance.
La particularité de cette immigration réside dans le fait qu'elle était saisonnière (les chauffages étaient allumés d'octobre au printemps) et qu'elle ne cherchait en aucun cas à s'installer définitivement, qu'elle refusait philosophiquement l'intégration sociale et encore moins l'assimilation. Une émigration purement économique, visant à renforcer les maigres ressources des montagnes (agriculture et pastoralisme), et à réinvestir les gains exclusivement dans les pays d'origine, dans l'idée inéluctable d'un retour au pays. Le choix de l'activité même de scaldino, effectuée le plus souvent de manière autonome, trouve son origine dans ce besoin d'indépendance, afin de pouvoir répondre facilement à l'impératif du retour à la maison.
De ce fait la ségrégation entre scaldini et Parisiens était totale, mais elle était voulue par les deux. Les mariages mixtes étaient impensables, et les couples se formaient le plus souvent lors du retour estival dans le pays d'origine.
Mais nous verrons dans le livre qu'avec le temps, même les certitudes les plus inébranlables finissent par céder à la force de la nature, et les dernières générations ont fini par se diluer dans la société française, au point d'en devenir partie intégrante. Le volume, divisé en quatre parties principales, après une introduction générale sur le contexte technique du chauffage urbain et sur le contexte historique de l'émigration italienne, nous raconte la vie de cette communauté si particulière dans un Paris aujourd'hui disparu, faite de danses dominicales, de tournées à pied ou en mobylette, de cafés-charbons et d'interactions plus au moins heureuses avec les charbonniers auvergnats.
Mais la partie du livre qui m'a le plus frappé
est le récit vertigineux de l'histoire
migratoire de deux familles de scaldini, des
origines du phénomène fin du XIXe siècle à son
extinction fin du XXe siècle.
Un va-et-vient surprenant et continu entre
l'Angleterre, la France et l'Apennin émilien
si extrême qu'il laisse entrevoir que, même au
siècle des grands nationalismes, les
frontières nationales n'étaient qu'une chimère
artificielle et vaine.
Informations pratiques
- Maurizio Catani et Salvatore Palidda, Les Scaldini. Ces Ritals qui ont chauffé Paris pendant un siècle, L'Harmattan, 20 €