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Publié le samedi, 17 octobre 2015 à 09h17

Les Napolitains, dernier livre de Marcelle Padovani

Par Riccardo Borghesi

Les Napolitains - couverture

Ce court essai, écrit par Marcelle Padovani, correspondante du Nouvel Observateur en Italie, fait partie d’une collection dédiée à la découverte de l’âme des peuples, où il est le seul consacré à une population qui ne correspond pas à une entité nationale.

L’auteur explore la ville en se laissant guider -ce qui est le point fort du livre- par une longue série de rencontres et d’entrevues avec des personnages plus ou moins connus du monde culturel et social napolitain. Elle construit son idée en analysant les propos de ses interlocuteurs, ce qui est tout du moins le paradigme affiché.

En vérité ce n’est pas toujours le cas. Souvent elle laisse entrevoir son scepticisme (comme lors de la rencontre avec Gerardo Marotta, vieux exégète de la révolution napolitaine) ou bien elle explicite son adhésion à des positions, qui bien que légitimes, car exprimées par des acteurs de ce contexte, sont très discutables. Le livre aurait gagné en clarté en rapportant aussi le jugement de ceux qui ne partagent pas ces idées. Je pense évidemment à la question du rapport entre ville et Camorra. De la relation entre misère, manque de perspectives et abandon inéluctable des couches populaires les plus fragiles dans les bras de la Camorra. Des jugements comme « la Camorra est une espèce d’état social » dans les mots de Daniele Sepe, bon musicien mais maître à penser discutable, sont certes intéressants car déconcertants pour ceux qui ne vivent pas à Naples, mais, laissés sans réplique, ils pourraient faire croire au lecteur que ce point de vue est partagé par la majorité, chose fausse et offensante pour beaucoup.

Autre exemple, l’attaque à peine voilée sur la personne de Roberto Saviano (journaliste et écrivain auteur de Gomorra) qui revient en filigrane dans les propos de certains des interviewés, laisse perplexe. Pourquoi faire allusion à ce processus de dénigrement en cours et ne pas l’aborder directement ? Pourquoi le choix de ne pas l’interviewer? Même attitude dans la condamnation explicite de l’œuvre et de la personne de l’actuel Maire de Naples : pourquoi ne pas rapporter aussi son point de vue?

Malgré cela, l’auteur réussit à saisir, avec une capacité de synthèse remarquable, certains aspects essentiels de la société napolitaine : La fragmentation du monde social, fait de monades vertueuses qui ne communiquent pas, conduisant à l’impuissance ; le familisme amoral (plus "italien" en général que spécifiquement napolitain) ; la proximité très hispanique avec la mort ; la religiosité superstitieuse et magique ; la tolérance et le métissage, fruits de l’histoire tourmentée de la ville et des invasions successives, mais aussi typiques de toutes les grandes villes portuaires (Gêne, Livourne).

Il s’agit donc d’un livre intéressant, mais parfois imprécis, ce qui est dommageable lorsqu’on aborde des arguments délicats, à manipuler avec soin, comme justement le rapport à la camorra. Il présente aussi certaines ingénuités autours des symboles de la « napolitanité », comme par exemple la pizza : dans l’introduction il est écrit que la pizza, pur symbole méditerranéen (déjà dans le nom Pizza/Pita), serait importée de Chine, rapportant une légende dépourvue de tout fondement raisonnable.

Note positive, le livre se termine en nous offrant une vraie perle de journalisme: l’interview avec Giorgio Napolitano, à l’époque Président de la République, à propos de son enfance parthénopéenne.

Informations pratiques

Les Napolitains de Marcelle Padovani, Editions Ateliers Henry Dougier, 12€. Pour acheter le livre, cliquez sur l'image ci-dessous