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Publié le dimanche, 14 mai 2023 à 10h26

Les enfants de Haretz de Rosa Ventrella. Marcher vers le salut

Par Murielle Hervé-Morier

Les enfants de Haretz - couverture

Seconde Guerre mondiale en Tchécoslovaquie. Margit, 11 ans, et son frère János, 7 ans, vivent dans une petite ville en bordure d’un fleuve apparemment tranquille et s’épanouissent dans un foyer aimant, choyés par leurs père et mère. Ce pur condensé de bonheur est trop beau pour durer et la vie prend en effet un tournant radical quand les nazis envahissent Prague.

En 1941, lors d’une rafle, des soldats (des sauvages sans foi ni loi plutôt) débarquent chez eux. Depuis le secrétaire où ils sont cachés, les enfants deviennent les témoins impuissants de la barbarie. À partir de ce jour funeste qui signe la fin de l’innocence, rien ne sera plus jamais comme avant. Les parents sont déportés, Margit et János trouvent alors provisoirement refuge chez des voisins, mais doivent bientôt fuir.
S’ensuit l’errance à travers champs et forêts où ils tombent sur d’autres congénères qui connaissent le même sort. Rencontre avec Frantz, 15 ans : un meneur qui va guider un groupe de six enfants, lesquels ignorent encore que cet étrange périple durera plusieurs années. « Longtemps, pendant les mois et les années d’errance, Frantz et moi avions imaginé à quoi ressemblerait le moment où notre cauchemar prendrait fin. » Le récit de cette longue et insolite expédition qui s’inspire de l’histoire vraie des « enfants de Selvino », raconte donc, outre l’enfance confisquée, la survie de ces enfants mûris avant l’heure par toute une série d’épreuves. « Je me demandai quels souvenirs nous garderions, adultes, de ce que nous étions en train de vivre, ce que nous sauverions, si au-delà de la chair et du sang l’esprit pouvait lui aussi rester intact. » Avec comme message sous-jacent : l’amour peut réussir à triompher de l’abomination, la narratrice, que les événements ont, malgré elle, transformée en héroïne, s’efforce de préserver son jeune frère et par extension la vie, envers et contre tout. Pour ne jamais oublier.

Après avoir traversé les forêts d’Europe de l’Est, en Italie les attend un groupe de militants qui accueillent des enfants survivants de la guerre et des camps d’extermination. C’est l’espoir nourri par Moshe Zeiri, ce soldat qui sauva des centaines d’orphelins en vue de les conduire sur la Terre promise. C’est lui qui a rendu possible la Maison des enfants, à Sciesopoli, situé dans la ville de Selvino. Au travers de cet épisode de la Shoah, Rosa Ventrella parle non seulement de cette « opération de sauvetage et de restitution d’identité, alors que tout était perdu », mais décrit également un vaste éventail d’émotions : il est ainsi question d’individus qui s’octroient le droit de vie ou de mort sur autrui et de lâcheté aussi ; la bassesse de ceux qui, pour se protéger, n’ont pas hésité à accomplir les actions les plus viles.

Margit va chercher à dompter une souffrance infinie et incommunicable qu’elle partage avec ses petits compagnons d’infortune, notamment par le dessin – quelques illustrations parsèment le livre – qui lui sert d’exutoire pour dépeindre l’horreur et ce que l’homme est devenu : le mal incarné. Son expérience est autant un voyage vers le salut qu’une quête de liberté. Un symbole de résilience face à la cruauté.

Informations pratiques
  • Rosa Ventrella, Les enfants de Haretz (I bambini di Haretz), traduit de l’italien par Anaïs Bouteille-Bokobza, Éditions Les Escales, 22 €