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Publié le jeudi, 1 juin 2023 à 09h48

Le tueur au caillou de Alessandro Robecchi. Milan aux deux visages

Par Murielle Hervé-Morier

Le tueur au caillou - couverture

L’intrigue se passe à Milan. On comprend que la capitale économique de l’Italie n’est pas seulement celle des beaux quartiers, des boutiques branchées, de la Scala et du Dôme en perpétuelle restauration. L’un des monuments emblématiques de la cité lombarde est d’ailleurs toujours là, immuable, « recouvert sur un côté par des panneaux publicitaires qui en financent le sempiternel entretien », comme le constate lors d’une balade matinale Carlo Monterossi, instigateur du programme de télé-réalité Crazy Love, animé par cette diablesse de Flora De Pisis. Une opulence de façade donc, car tout n’est pas si rose sous les cieux milanais.

Il suffira de deux meurtres pour le confirmer. La peur gagne alors la ville ; à savoir la Milan des plus nantis compte tenu du rang social des victimes, tuées par balles. Le premier assassinat concerne le dénommé Fabrizio Gotti. Considéré comme une sorte de boucher de luxe, celui-ci dirigeait un empire de la bidoche. Peu après, un autre entrepreneur richissime subit le même sort : Cesare Crisanti, pape de l’immobilier plutôt combinard. Rien ne semble a priori relier les deux quidams, hormis le caillou retrouvé sur leur cadavre.

Moult conjectures relayées par les médias vont alors se faire à propos de la signification de cet énigmatique caillou. Mais aucune ne tient la route. L’enquête officielle piétine, les esprits semblent tourner à vide. Or, le sous-brigadier Tarcisio Ghezzi, qui a l’étoffe d’un fin limier malgré un avancement au point mort (sa carrière stagne à cause d’une hiérarchie obtuse) mène de son côté et en toute discrétion sa propre enquête, aidé de collègues policiers. Il infiltre ainsi La Caserne, un quartier populaire oublié des grands décideurs. Rosa Ghezzi, son épouse, se montre, pour sa part, très impliquée dans ce travail d’investigation. Aux côtés de son mari, elle accueille ses hôtes dans un logis modeste mais chaleureux à grand renfort de petits plats mitonnés avec amour.

Notons en passant que les personnages secondaires ne manquent pas de sel. Autre mention particulière pour Katrina, l’employée de maison de Carlo Monterossi.

Grâce à sa présentatrice vedette au cynisme époustouflant, l’émission de Monterossi marche du feu de Dieu, cependant celui-ci envisage de couper les ponts avec ce qu’il appelle la « Grande Usine à Merde ». Oui, Carlo semble s’être fourvoyé et, comme Faust repenti, il réfléchit donc à sa reconversion. Toutefois, il ne perd pas son temps et va notamment mettre à contribution Oscar, son perspicace ami journaliste, pour l’aider à retrouver un objet d’une valeur inestimable dérobé à une vieille dame trop confiante. De fil en aiguille, Carlo Monterossi sera également amené à fouiner dans l’épineux dossier du tueur au(x) caillou(x).

Bientôt, un troisième assassinat. Giorgio Campana. Encore un riche homme d’affaires. Des affaires pas très claires d’ailleurs, puisque ce dernier était aussi pédophile. Avec un autre caillou retrouvé sur le corps de l’individu, le mystère s’épaissit.
Et si la vérité se cachait derrière le langage ? Les italophones savent que l’expression metterci una pietra sopra se rapporte à la nécessité de purger un passif, au besoin de tourner définitivement la page. Tout un symbole. Pour suivre cette logique, il faudra regarder en direction du passé des victimes, pas si innocentes que ça.

L’ouvrage se présente comme un roman noir qui ne dédaigne pas l’humour et où se côtoient deux mondes aux antipodes. On passe allégrement de la Milan du bling-bling à une cité du centre-ville saturée d’HLM dont l’acronyme, ici, signifie ironiquement « Habitations pour Locataires Miséreux ». La mairie se soucie en effet comme d’une guigne de tous ces immeubles délabrés, voire insalubres, tant le chantier de réhabilitation risquerait de durer plus longtemps encore que la rénovation du Dôme. Dans ce monde à part, cette zone de non-droit néanmoins organisée par les caïds des lieux où prospèrent délinquance et trafics en tout genre, l’espoir se fraie parfois un chemin depuis les caves, jusqu’aux squats en passant par la cage d’escalier, quand la solidarité s’invite chez les miséreux. On voit même émerger un autre personnage remarquable : l’inoubliable madame Antonia.

Selon Il Fatto Quotidiano, titre pour lequel Alessandro Robecchi a travaillé, sous couvert d’histoire policière, l’auteur dénonce une société à plusieurs vitesses et signe là un livre clairement politique.

Informations pratiques
  • Alessandro Robecchi, Le tueur au caillou (Torto marcio), traduction de Paolo Bellomo avec le concours de Agathe Loriot dit Prévost, Éditions de l’Aube (L’Aube Noire), 21,90 €