Archives Livres

Publié le samedi, 14 novembre 2015 à 09h40

Le Feu de Jeanne, roman de Marta Morazzoni

Par Riccardo Borghesi

Le Feu de Jeanne - couverture

Le regard de l’étranger porte toujours une précieuse contribution à la compréhension d’une société, surtout quand il s’arrête sur les mythes fondateurs d’une nation. Même quand ces mythes fondateurs semblent poussiéreux et relégués à un folklore désormais apanage du nationalisme le plus hypocritement rétrograde.

L’histoire de Jeanne d’Arc est abordée ici sous une perspective insolite, ni historiographique, ni anthropologique, ni romanesque, mais qui serait un mélange de toutes ces approches. Cela donne au livre une forme très moderne, celle d’une espèce de carnet de voyage, récit du parcours de l’auteur sur les traces de Jeanne, de Domrémy jusqu’au bûcher de Rouen.

Il s’agit presque d’une enquête, qui pousse l’auteur à visiter les lieux ayant été la toile de fond de l’histoire, pour les questionner du regard, pour en cerner les secrets et l'essence, à la recherche de l’écho dans le présent, d’événements lointains dans le temps. Toucher, respirer, voir, comme clef de la compréhension. Vivre les lieux, pour faire re-vivre les personnages.
C’est un procédé fascinant, onirique par moments, qui, associé à un regard lucide et à la capacité d’appréhender l’âme des lieux, s’avère d’une efficacité rare.

A l’origine du projet il y a la fascination de l’auteur pour la double vulgate de l’histoire de Jeanne : la première est celle orthodoxe, que tout le monde connaît, de la jeune paysanne, mue par des voix surnaturelles, qui relève le sort du royaume de France, et termine sa vie sur le bûcher de Rouen ; la deuxième est l’hérétique, inconnue de la plupart, qui raconte une Jeanne d’origine aristocrate, peut-être demi-sœur de Charles VII, qui après la condamnation échappera au bûcher (sur lequel mourra une doublure) et terminera ses jours à Jaulny, épouse d’un noble de province.

L’orthodoxe est simple, archaïque et surnaturelle. L’hérétique est à tel point raisonnable qu’elle parait inventée pour rapiécer la véracité de la première. Les deux histoires seront parcourues en parallèle, pesées, examinées, confrontées, sans que l’auteur ne se résout à se rallier à l’une ou à l’autre.

Mais à l’évidence, l’intérêt du livre ne réside pas dans la réponse, tant les deux histoires apparaissent à notre sensibilité contemporaine de purs mythes symboliques, dont le fondement réel n’a que peu d’importance. Ce qui importe, c’est plutôt le regard porté sur la France, celle moderne des grandes villes, et celle profonde et archaïque des provinces : un regard fait d’intuition, intelligence, grâce, érudition, toujours teint de respect et d’admiration, qui fait la beauté et l’intérêt de ce livre.

Informations pratiques

Le Feu de Jeanne de Marta Morazzoni, Actes Sud, 18,50 €.
Pour acheter le livre, cliquez sur l'image ci-dessous