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Publié le jeudi, 2 juin 2022 à 09h29

L’Adieu au Rivage de Manuela Piemonte. Les trois sœurs du quatrième rivage

Par Stefano Palombari

L’Adieu au Rivage - couverture

Malgré leur jeune âge Sara, Angela et Margherita, trois sœurs qui vivent avec leurs parents en Libye, colonie italienne à l’époque, sont fières et courageuses telles des Amazones. Le Amazzoni est par ailleurs le titre original de ce beau roman de Manuela Piemonte, bien plus évocateur à mon sens que celui choisi pour la traduction française. Elles ont entre 4 et 10 ans lorsqu’en 1940 elles sont séparées de leur famille. Les trois jeunes filles partagent leur triste destin avec des milliers d’autres enfants italiens de Libye, « la quarta sponda », le quatrième rivage de l’Italie dans la rhétorique fasciste, envoyés dans des colonies de vacances sur le « sol de la patrie ».

Sauf que, bien que leur destination soit à proximité de la mer, il ne s’agit pas vraiment de vacances. Sara, Angela et Margherita vont vite déchanter. Le quotidien de leur séjour en Toscane s’apparente plus à un camp militaire qu’à une colonie de vacances. Pour faire plier les plus récalcitrantes, on n’hésite pas à piocher dans la pharmacie.

Les trois sœurs sont affectées à Tour Balilla (ou tour Fiat) en Apuania, partie au nord de la Toscane au pied des Alpes du même nom. L’immeuble qui accueille des centaines de jeunes filles ainsi que le personnel est une célèbre réalisation de l’architecte et ingénieur Vittorio Bonadè Bottino datant de 1933. Une tour ronde avec un escalier hélicoïdale pour accéder aux chambres. La structure, par sa forme, ses annexes, son jardin et sa pinède, est indubitablement l’un des protagonistes du roman.

Si dès le début le séjour n’a rien de féerique, avec l’entrée en guerre de l’Italie la situation devient carrément cauchemardesque. Le roman prend alors des allures de Sa majesté des mouches. Les « organisées » se désorganisent.

C’est le premier roman de Manuela Piemonte (scénariste, traductrice et éditrice). Un coup d’essai bluffant. Un style épuré et efficace, une rare maîtrise du sujet, des personnages très bien rendus dans leur complexité offrent au lecteur un plongeon dans l’ambiance martiale du régime. Les coupures de journaux de l’époque, qui chapeautent les derniers chapitres, conférent au récit un ancrage historique essentiel. Si l’histoire des trois sœurs fait partie de la fiction littéraire, les événements qui se déroulent sur le fond (la séparation des enfants de leurs familles, les colonies de vacances et leur organisation militaire, l’impact de la guerre...) sont réels et documentés. Les deux parties sont savamment mélangées dans la prose élégante de l’auteure. Le lecteur est happé par le flux narratif qui ne le quittera plus jusqu’à la dernière page.

Informations pratiques
  • Manuela Piemonte, L’Adieu au Rivage, traduit de l'italien par Lise Caillat, Robert Laffont, 22€

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