Archives Livres

Publié le dimanche, 25 septembre 2016 à 10h21

La tentation d’être heureux de Lorenzo Marone

Par Riccardo Borghesi

La tentation d’être heureux - couverture

Il hait les vieux, il en méprise la décrépitude, les habitudes et les vices, mais il est désormais un vieux lui aussi. Il s’indigne des illégalités et de la corruption des mœurs, mais souvent il se fait passer pour carabinier, policier des finances ou général à la retraite, selon ses besoins. Coureur de jupons invétéré et sans scrupules (il a essayé entre autres de séduire sa jeune belle-sœur) mais toujours très respectueux des femmes, de leur dignité et de leur liberté. Intimement égoïste, il reconnaît ses propres limites et erreurs (prosaïquement il se définit comme une mauvaise personne), mais il ne connaît pas l’existence de la culpabilité. Bref un amalgame de contradictions, un écheveau inextricable de pulsions misanthropiques et d’élans altruistes. Un mélange d’égoïsme, mesquinerie et bons sentiments.

Tout cela c’est Cesare Annunziata, le personnage principal et voix narrative du roman : retraité de 77 ans, veuf, deux enfants qu’il aime mais qu’il garde à distance, une maîtresse mercenaire, une maison dans le Vomero, quartier bourgeois de Naples, sur la colline, là où l’air est meilleur et la plèbe lointaine.

Le vieux misanthrope au grand cœur, est bien-sûr un topos littéraire, mais qui, revisité à la sauce napolitaine, a tout un autre goût, sincère et authentique. Par moments il se transfigure en masque ou en caricature, mais souvent il est porteur d’une grande humanité, d’une lucidité sentimentale qui, malgré la rugosité affichée, se révèle émouvant. Monsieur Cesare Annunziata est un personnage auquel on s’attache dès les premières pages.

On sait que la routine fait ressortir le pire de chacun, et c’est justement la rupture de la routine, en coïncidence avec l’arrivée d’un couple de nouveaux voisins, qui conduira notre personnage à retrouver le meilleur de soi, à dépoussiérer son altruisme, et accessoirement à aborder les aspects non résolus de son existence. Le dernier combat de Cesare Annunziata sera la tentative de sauver la jeune voisine, victime de terribles violences conjugales.

Je m’arrête ici dans le récit du livre, mais j’aimerais m’attarder sur la maîtrise avec laquelle l’auteur nous raconte ce triste épisode de violence sur les femmes et sur l’importance sociale de l'aborder en littérature. Il s’agit de pages angoissantes, terribles, dans lesquelles on lit toute l’impuissance et le désespoir de celles qui tombent dans ce piège, et tout le malentendu et la couardise qui portent à l’inaction de ceux qui passent à coté.

Pour rappeler le contexte, je vous donne ici ces quelques données officielles:
- 6 millions et 788 mille femmes italiennes (actuellement en vie) ont subi des violences physiques ou sexuelles au cours de leur existence;
- sur 152 femmes tuées en Italie en 2014, 117 l’ont été dans le contexte familial. Cela concerne l’Italie, mais les chiffres en France, ne sont malheureusement pas très différents.

C'est donc un livre dont je conseille fortement la lecture, parce qu’il est amusant, il fait rire et pleurer en même temps, il fait réfléchir. Quoi demander de plus à une histoire?

PS1: Gianni Amelio, réalisateur d'un cinéma toujours engagé, est en train d'adapter le livre au grand écran.

PS2: Je me permets d'exprimer quelques doutes par rapport à la traduction, qui selon moi lisse trop le personnage (en italien beaucoup plus rugueux, anguleux et vulgaire); on perd aussi toute trace dialectale: mais on sait bien que rendre les dialectes reste une des épreuves les plus ardues de l'art de traduire.

Informations pratiques

La tentation d’être heureux de Lorenzo Marone, Belfond, 20€
Pour acheter le livre, cliquez sur l'image ci-dessous