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Publié le mardi, 28 novembre 2017 à 09h56

La princesse de Bakounine, roman de Lorenza Foschini

Par Riccardo Borghesi

La Princesse de Bakounine - couverture

"La princesse de Bakounine" nous raconte un aspect peu connu de la vie du père de l'anarchisme moderne tout en nous donnant un portrait très intéressant de la période post-unitaire en Italie. Il nous parle, avec une écriture précise et élégante -plus de reportage que de traité d'histoire-, du ferment révolutionnaire et du réveil social qui a continué pendant des années à parcourir la société italienne à la fin du processus du Risorgimento. Il le fait à partir de cet observatoire privilégié pour l'époque, que fut Naples, ville qui de capitale de l'État des Deux-Siciles, se vit transformée en capitale conspirationnelle et révolutionnaire, avant de tomber définitivement dans la marginalité imméritée que malheureusement nous lui connaissons encore. Naples, ville cosmopolite, lieu de rencontre pour les élites européennes, et en ce qui nous concerne, pour la noblesse russe.

C'est là que se rencontrèrent donc les deux personnages principaux du livre : Mikhail Bakounine, révolutionnaire légendaire, penseur et homme d'action, venu dans le golfe pour échapper à sa captivité, à la recherche d'un port d'accueil, afin de retrouver forces et argent pour repartir à l'assaut du monde bourgeois ; la princesse Zoé Obolenskaïa, femme riche et altière, venue à Naples officiellement pour soigner la maladie d'une de ses filles grâce à la douceur du climat, mais en fait pour échapper à sa famille et à la vie à la cour du Tsar, qu'elle n'avait jamais supportées.

Ici, inévitablement, ils se rencontrèrent et s'aimèrent d'un amour intense et probablement platonique ; ce qui est certain, c'est qu'ils trouvèrent l'un dans l'autre ce dont ils avaient besoin à cette époque : pour Bakounine le port de refuge et l'argent, beaucoup d'argent, dont il avait besoin pour sa cause ; pour Zoé l'étincelle qui alluma en elle la mèche de son essence révolutionnaire, à laquelle elle dédiera le reste de sa vie en lui sacrifiant sa richesse, sa famille et ses enfants.

Zoé, en tant que prototype de la femme révolutionnaire, a inspiré plusieurs personnages littéraires : Anna Karenina de Tolstoï, la princesse Casamassima de Henry James, l'écho de sa personnalité se trouve dans des romans de Conrad et Coetzee.
Lorenza Foschini, journaliste et visage familier de la télévision, nous raconte tout cela avec un style ironique et élégant, trempé de culture Parthénopéenne, qui se situe à mi-chemin entre le cinéma de Martone (pensez à Leopardi ou au film monumental sur le Risorgimento) et la fiction d'enquête des livres d'Ermanno Rea et d'Anna Maria Ortese.

La seule faiblesse à mon avis de ce beau roman est l'absence presque totale de références précises au contenu des théories de Bakounine.
Quelle société préfigurait-il? Comment espérait-il l'atteindre? Quel était le noyau théorique de la dissension de Marx? Pourquoi a-t-il été chassé de l'international? Pourquoi tout ce mépris pour Mazzini et Garibaldi? Toutes ces choses à peine mentionnées, pour se concentrer sur le facteur humain, sur une représentation nuancée d'un environnement et d'une tension sociale, mais sans jamais aller à l'essentiel. Pourquoi cela nous laisse t-il insatisfaits? Car l'impression qui en sort est presque d'un jeu de riches ennuyés, une lubie de nobles déchus à la recherche du frisson de l'aventure et del'interdit.
Alors, pour nous clarifier les idées, il ne nous reste plus qu'à relire "Étatisme et Anarchie" ou, pourquoi pas, les quatre volumes du Capital de Marx.

PS1: Comme Lorenza Foschini le dit dans les pages d'introduction du roman, l'inspiration, l'occasion de ce livre, vient d'une enquête sur Renato Caccioppoli, mathématicien brillant et malheureux, petit-fils de Bakounine, à qui Martone aussi a consacré un de ses plus beaux films "Mort d'un mathématicien napolitain".

PS2: La riche bibliographie à la fin de "La princesse de Bakounine" est l'exemple généreux de la manière dont tout livre, de fiction ou non, devrait se conclure.

Informations pratiques

La princesse de Bakounine, Lorenza Foschini, Quai Voltaire, 20 €
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