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Publié le jeudi, 26 août 2010 à 09h08

La Huitième vibration de Carlo Lucarelli

Par Stefano Palombari

Le royaume d’Italie, dès son premier vagissement, a tenté par tous les moyens de jouer dans la cour des grands. A la fin du dix-neuvième siècle, avoir des colonies était la conditio sine qua non de l’appartenance aux nations qui comptent. L’Italie décide alors de s’emparer de l’Erythrée. Elle installe son quartier général à Massaoua, ville maritime avec un port important.

La Huitième vibration est une photographie vivante de cette ville à la fin du dix-neuvième siècle. Les différentes personnalités de l’Italie qui compte en terre d’Afrique essayent de se récréer une existence normale et semblable à celle qu’ils menaient dans la Péninsule.
L’administration civile, incarnée par Vittorio Cappa, commis colonial de première classe, et Cristoforo Del Re, commis colonial de troisième classe, se débrouille pour survivre à l’ennui et à la chaleur. Ils reproduisent à Massaoua les petites escroqueries, tellement répandues en mère patrie parmi les fonctionnaires.

Parmi les militaires, les mauvaises pratiques aussi vont bon train. Ce qui fait qu’à la tête de l’armée, on trouve des officiers totalement incompétents, et parfois même déséquilibrés. Le major Marco Antonio Flaminio, rejeton d’une noble famille florentine, est suspecté d’être un meurtrier d’enfants.

Dans ce microcosme à la chaleur constamment étouffante, y compris lorsqu’il pleut, on assiste à l’interaction des personnages conçus par Carlo Lucarelli. Les Italiens qui affichent d’abord leur identité régionale lorsqu’ils interagissent avec d’autres Italiens. Toutes les profondes difficultés d’un état qui vient de naître apparaissent de façon évidente. Le poids d’une histoire faite de siècles de fractionnement est symbolisé par le soldat Sciortino, qui se limite à hocher la tête, car de toute façon personne ne le comprendrait.

Dans cette terre « nouvelle », chaque personnage arrive avec une motivation différente. Il y a ceux qui n’ont pas eu de choix, ceux qui veulent en faire un Eldorado et y investissent toutes leurs économies, ceux qui fuient la misère ou d’autres soucis, ceux qui poursuivent des suspects, les fanatiques qui veulent mourir en héros… Avec cette faune, Carlo Lucarelli nous donne un portrait saisissant de la colonie italienne de Massaoua.

Très intéressants aussi sont les rapports que les colons établissent avec la population locale. Les attitudes sont radicalement différentes. Pour certains ce n’est qu’un matériel vivant à exploiter. D’autres, en revanche, cherchent à rentrer en contact avec les autochtones. Certains se mettent carrément en ménage avec des femmes du lieu, en oubliant l’épouse officielle qu’ils ont laissée en Italie.

« Regarde où tu mets les pieds, ô étranger impur, celle-ci est la terre de la huitième vibration ». Cet extrait d’un poème de Tsegaye Gabre Medhin, qui a inspiré le titre à l’auteur, annonce la chute du livre. La bataille d’Adoua, mars 1896, avec sa sanglante défaite, clôt le livre. La valeur symbolique de cet événement est énorme. Première défaite d’une armée européenne en Afrique, il s’agit aussi de la première manifestation de ce que deviendra une constante des batailles de l’armée italienne : la défaite due à la désorganisation, à la précipitation, aux soldats mal formés et mal équipés, aux officiels incompétents et à la sous-estimation des adversaires .

La huitième vibration est le premier roman historique écrit par l’un des maîtres du polar italien. La qualité de ce livre est à la hauteur de ses romans de genre. C’est un livre absolument passionnant.

Informations pratiques
La Huitième vibration
Auteur : Carlo Lucarelli
Traducteur : Serge Quadruppani
Éditeur : Métailié
Prix : 22 €
Parution : août 2010

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La Huitième vibration - Couverture
Métailié, août 2010, 22 €