La découverte du Monde de Luciana Castellina

Par Stefano Palombari

Quel bonheur de lire ce livre touchant, drôle et bien écrit. Bonheur d'ailleurs renouvelé lors de sa présentation à la Libreria, en présence de l'auteur, qui a fait preuve d'autant de talent à l'oral qu'à l'écrit.

Luciana Castellina écrivaine, journaliste et militante politique, née en 1929, est très connue en Italie. La découverte du monde est écrit sur la base du journal que Luciana a tenu entre le 25 juillet 1943, date de l’arrestation de Mussolini, et la fin de l’année 1947, où la déception pour la situation politique italienne la pousse à arrêter d’écrire. Il s’agit de quatre années très importantes à la fois pour l’Histoire et pour la vie de l’écrivaine. On assiste à la fin de la guerre et du fascisme, événement qui touche Luciana directement, étant camarade de classe de Anna Maria Mussolini, le dernier des enfants du dictateur.

A l’arrestation de Mussolini succède l’occupation allemande de l’Italie, événement porteur de nouvelles craintes pour la famille de Luciana, à moitié juive. L’expérience de la fin de la guerre et la situation de Trieste, ville d’où vient toute une partie de sa famille, disputée entre l’Italie et la Yougoslavie de Tito, est une sorte d’initiation brutale à la politique. Au lycée, elle se rapproche des jeunes communistes.

La découverte de la politique, son engagement lui permet aussi la découverte du monde. En 46 elle participe à un échange avec des jeunes communistes français et peut séjourner quelques temps à Paris avec des camarades artistes. Elle prend alors conscience du lien étroit entre politique et art, avec l’ouverture du milieu artistique italien, un peu provincial, aux nouveaux courants, notamment au cubisme.

En 1947 c’est au tour de Prague. Elle se rend dans la ville Tchèque pour participer au Festival de la jeunesse communiste. Parmi les jeunes intellectuels qu’elle côtoie : Giovanni Berlinguer et Italo Calvino, alors jeune correspondant du quotidien communiste L’Unità. A la fin du festival, au lieu de rentrer chez elle, comme la plupart de ses camarades, elle prend la route de la Bosnie, où elle participera à la construction du chemin de fer : Sanek – Sarajevo. Elle s’était enrôlée dans les Brigades de travail volontaire créées pour aider à la construction du socialisme. 1947 marque aussi son inscription officielle au Parti communiste.

En suivant les traces de son journal, Luciana Castellina se permet des escapades dans un passé plus récent. Elle raconte son exclusion du parti communiste lors de l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie et sa réhabilitation en 1985. La fondation avec son mari Alfredo Reichlin et d’autres camarades dissidents, du quotidien Il Manifesto, journal qui existe encore.

Ce qui frappe avant tout le lecteur, dans ces belles pages, c'est la singulière et précoce émancipation de la jeune Luciana. Elle n’a pas encore 18 ans, lorsqu’elle commence à voyager toute seule à travers l’Europe et à séjourner pendant plusieurs mois à l’étranger. En lisant on a presque l’impression qu’elle s’étonne elle-même de ce qu’elle a pu faire dans sa jeunesse.

La lecture de son journal, dont certaines parties sont citées telles quelles et d’autres « expliquées », « commentées » « mises dans leur contexte », lui permet de prendre la mesure de l’audace de ses expériences.  Certains de ses choix politiques futurs peuvent être mieux compris à la lumière de cette quête de liberté qui la hante dès son plus jeune âge. Dans son récit, ses expériences personnelles se fondent bien avec l’Histoire de l’Italie et du monde.