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Publié le lundi, 12 avril 2021 à 09h45

L'enfant caché, roman de Roberto Andò

Par Riccardo Borghesi

L'enfant caché - couverture

Gabriele Santoro, Napolitain du Vomero, homme cultivé et sensible, amateur de musique et de poésie, a choisi de vivre en ermite. Il s’est isolé dans l’endroit le plus peuplé de Naples, à Forcella, quartier populaire aux mains de la Camorra. Ici, dans l'œil du cyclone, corps étranger à la réalité féroce du quartier, il vit dans la solitude la plus sidérale. Il sort pour se rendre au conservatoire, où il enseigne le piano, ou pour donner quelques cours particuliers. Pour le reste, il est regardé comme une bête rare dans un contexte social -dont il se tient à l'écart- fait d'abus et de soumission.

L'emprise que la Camorra exerce sur la vie des habitants du quartier rappelle celle d’un des nombreux régimes totalitaires du passé ou du présent. Tout le monde contrôle tout le monde, par intérêt ou par peur. Tout le monde sait tout de tout le monde, mais personne ne s’intéresse à personne. Dans ce désert aride et empoisonné, un miracle se produit soudain : un enfant se réfugie chez lui pour échapper à une obscure menace.

La maîtrise d'Andò, scénariste et metteur en scène entre-autres, est perceptible dans les crescendos naturels et impérieux qui amènent le lecteur à saisir la réalité des choses par illuminations successives. Ce que l’on perçoit immédiatement, c’est que le vide affectif de la vie de Gabriele attendait d’être comblé.

Cet enfant, effrayé, perdu, mais déjà porteur innocent des anti-valeurs camorristes (voir la scène où il se rend compte que Gabriele est homosexuel), finira par remplir rapidement ce vide. Mais ce sera au prix du sacrifice de soi, comme lui a annoncé la Sibylle de Cumes dans un rêve au goût de vision prémonitoire.

"L'enfant caché" est un roman court, à la construction parfaite, avec des scènes intenses au rendu cinématographique. Il suffit de penser à l'épisode nocturne où Gabriele se perd dans l'antre de la Sibylle à la recherche de l'arme qui pourra le sauver, ou à celui où il tente vainement de s'improviser justicier dans un sordide hôtel de passe.

Action, sentiment, réflexion sur le rôle salvifique de l'art, sur l'exclusion, sur la diversité, sur l'enfance violée et niée dans certaines régions abandonnées par l'État (nous sommes à Naples mais ne pourrions-nous pas être dans certaines banlieues françaises ?), font de ce roman une petite perle, une lecture qui ouvre les yeux et nettoie l'âme.

PS1 : Le seul défaut de l’édition française est que dans la traduction on perd le contraste violent entre l’italien cristallin de Gabriele et celui dialectal, rêche et sauvage de l’enfant. Mais comment l’éviter ?

PS2 : le livre est déjà en train d'être adapté au cinéma, et le personnage de Gabriele sera interprété par Silvio Orlando.

Informations pratiques
  • Roberto Andò, L'enfant caché, traduit de l’italien par Jean-Luc Defromont, Liana Levi, 18 €

Vous pouvez commander ce livre, en italien ou en français, sur le site de La LIbreria