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Publié le lundi, 7 octobre 2019 à 09h40

J'avais une île, roman de Lorenza Pieri

Par Riccardo Borghesi

J'avais une île - couverture

"Isole minori" (Îles mineures), le titre original du livre, résume parfaitement l'essence de l'histoire. Je me demande sans cesse pourquoi, en l'absence de raisons valables, légales, de goût, d'ambiguïté dangereuse, on continue à changer le titre d'une œuvre, comme si cela n'en faisait pas partie intégrante, en l'amputant d'un important bout de son identité. Surtout dans un cas comme celui-ci où un titre précis, intelligent et poétique est remplacé par un autre générique, fade, sans âme.

Parce que les "îles mineures", dans la géographie étudiée dans les écoles italiennes, sont toutes celles dispersées dans les divers archipels le long des côtes de la péninsule, à l’exception de la Sicile et de la Sardaigne. Îles, vraiment îles, vivantes en été et léthargiques en hiver, souvent transformées en prisons de haute sécurité, fréquemment à moins d'une heure de ferry du continent, mais touchées par l'histoire que par accident.

Celle dont on parle dans le livre est la plus méridionale (à l’exception de l’inaccessible Giannutri) de l’archipel toscan, dont la silhouette des îles a parsemé (pardonnez moi la touche autobiographique) les horizons de mon enfance. Il s'agit de l'île du Giglio, qui est devenue malheureusement célèbre dans le monde entier par le naufrage du Costa Concordia et par le naufrage aussi de l'honneur du capitaine Schettino, qui est désormais à tous les titres un masque comme Pulcinella, Arlecchino ou Balanzone.

Mais les "îles mineures" sont aussi une métaphore, peut-être évidente mais efficace, de ceux qui se sentent inférieurs aux autres, d'enfants cadets écrasés par les personnalités dominantes et encombrantes de mères et de sœurs qui dictent les règles et départagent le bien du mal. Ces "Îles mineures" se tournent vers le continent avec désir, respect et soumission, mais ne trouvent leur équilibre que suivant leur nature de terres isolées, vivant dans un temps suspendu, loin du tourbillon de l'histoire.

Le récit de cette insularité, de son essence, est magistral, presque documentaire. L'autrice a vécu son enfance au Giglio, cela se perçoit dans la nostalgie et la bienveillance avec lesquelles elle regarde l'île, même lorsqu'elle nous parle de ses côtés les plus sombres.

Et si les stéréotypes ne manquent pas, je pense à Pietro (Pierre), l'ami d'enfance qui devient l'amour d'une vie (lu dans 3 romans récents), métaphore peut-être trop explicite de l'attrait de Teresa pour l'île (Pietro, le rocher, le roc solide et rassurant), Pieri parvient à rendre les relations humaines avec un réalisme et une élégance extrêmes; je pense en particulier à la relation affectueuse entre Teresa et son père, dont l'élan est retenu par le regard sévère de la mère et de la sœur.

Une belle première œuvre, si franchement autobiographique, que cela nous amène à nous demander si l'autrice aura la force de se démarquer par la suite de ses profondes racines, ou si elle en restera prisonnière comme Teresa dans le roman.

ps1: Dans le livre, il est fait référence à l'attentat de Piazza Fontana, dont cette année marque le cinquantième anniversaire. Un épisode qui affecte profondément Teresa. Elle y revient à différents moments de sa vie, comme à un traumatisme à l'origine de tant de ses peurs et faiblesses, métaphore exceptionnelle du profond vulnus infligé par cet événement au corps de la nation entière.

ps2: Chaque enfance est une île qui se découpe sur le fil de notre horizon.

Informations pratiques

Lorenza Pieri, J'avais une île, Préludes, 16,90 €
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