Publié le vendredi, 24 mai 2024 à 13h25
Italo Calvino, Les cahiers de L'Herne
Calvino fait partie de ces auteurs que l’on est tenté de croire connaître. N'importe qui peut citer le nom d'au moins une de ses œuvres. On le lit à l'école, on le cite souvent et l'on est unanimes pour le définir comme un géant littéraire de son siècle. Pourtant, à y regarder de plus près, la connaissance de Calvino se résume presque toujours à celle de sa trilogie "Nos Ancêtres », dans laquelle on commence tout juste à entrevoir l'écrivain sous sa forme la plus aboutie.
Certains disent, en partie à juste titre, que les biographies des artistes doivent rester à l'arrière-plan, reléguées à une curiosité futile, détachée de l'interprétation de l'œuvre. Dans le cas de Calvino cependant, je crois pouvoir affirmer que sa vie fait partie intégrante de son parcours littéraire. Cela parce qu’il porte sur les choses de la vie le même regard analytique, la même capacité d’abstraction que, ne laissant aucune place au sentimentalisme, on retrouve dans sa lecture du monde. Il suffit de penser aux pages consacrées à ses parents, à l'analyse des motivations ultimes de leur engagement social et politique, ou à celles dans lesquelles il dissèque son parcours et celui de ses compagnons d'armes, de la quotidienneté du fascisme à la résistance et à la lutte armée. Il n'y a jamais chez Calvino la volonté de paraître autre que ce qu'il pense intimement être. Il n'y a jamais l'intention de justifier ses erreurs. Les erreurs sont admises et analysées pour en comprendre la genèse.
Et il s'est trompé, comme nous tous, il a prononcé des phrases qu'il
a regrettées ensuite, il a exprimé des pensées, à posteriori,
naïvement optimistes.
Toujours Calvino exprime ses convictions avec courage, sans pudeur,
et les argumente sans cesse méticuleusement, loin des passions qui
ne devraient jamais trouver trop de place sur le papier.
Et des passions, il en parle, mais aussi avec un regard analytique. De l'amitié, proche de la dévotion du disciple pour le maître, avec Pavese. De l'étourdissement devant sa mort et de la culpabilité qui l'a saisi pour n'avoir pas su intercepter les signes précurseurs de son suicide. De l'affection profonde qui le liait à d'autres auteurs de son époque, comme Natalia Ginzburg. De sa relation complexe d'attirance et de répulsion réciproques pour Pasolini et son œuvre. C'est de tout cela et bien plus dont il est question dans ce volume de L'Herne qui lui est consacré. Et comme toujours chez les Cahiers de L'Herne, la richesse, l'exhaustivité et le soin dans le choix des matériaux sont admirables. Tous les univers de Calvino sont contenus dans ces pages, organisées par blocs thématiques. Et il n'y a jamais d'attitude hagiographique, ni d'aveuglement admiratif, mais toujours le souci de donner le plus de matière possible pour que le lecteur puisse se forger une interprétation juste et précise, celle que Calvino lui-même aurait peut-être approuvée.
PS : Je partage avec vous un lien vers un court et beau documentaire-interview, produit par la télévision suisse en 1974. Calvino y parle de sa relation avec la ville de Paris, avec des mots qui serviront de canevas à ce qui deviendra son livre "Ermite à Paris". On perçoit sa façon de se relationner au monde, dans le choix des concepts à exprimer et dans la forme à leur donner. Les mots ne sortent que lorsqu'ils sont validés par la pensée, jamais superflus, toujours réfléchis, entrecoupés de longs moments de réflexion. Riches de ces silences impensables aujourd'hui, dans une société qui prime la vitesse et l'approximation.
Informations pratiques
- Italo Calvino, Les cahiers de L'Herne, 37 €