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Publié le vendredi, 25 août 2023 à 10h02

Et moi, je me contentais de t’aimer de Rosella Postorino. Orphelin moi non plus.

Par Stefano Palombari

Ils y ont cru - couverture

Raconter une guerre est toujours une opération périlleuse. La littérature, avec sa part de fiction, agit sur la « vérité historique » pour en arrondir les contours, humaniser les bourreaux, ou se placer d’un côté des barricades, celui des protagonistes, qui n’est jamais, ipso facto, objectif. Lorsqu’on sent le sang couler dans les veines, on succombe au processus normal d’empathie. On prend position. Mais la guerre est une matière délicate. Pour la littérature, mais peut-être encore plus pour l’essayisme. Ce sont toujours les gagnants qui en font le récit officiel, même si le plus souvent les torts et les raisons sont moins définis. La fiction a donc à mon avis le mérite de nuancer par sa propre nature une « narration officielle » que les historiens trop souvent vendent comme vérité. José Saramago dans L’histoire du siège de Lisbonne a écrit des pages mémorables sur le sujet.

La guerre fratricide entre les anciens pays qui formaient la Yougoslavie est une matière hautement inflammable. Rosella Postorino a pris le risque d’en faire le décor de son dernier roman Et moi, je me contentais de t’aimer. Oscar, Sen, Nada, Ivo sont logés à l’orphelinat de Sarajevo. Nous sommes en 1992. La ville est assiégée par les forces serbes qui la pilonnent à longueur de journée. Les snipers cachés dans les immeubles éventrés peaufinent le travail. Oscar a dix ans lorsqu’il voit sa mère pour la dernière fois. L’explosion d’une grenade les sépare.

Si les enfants vivent à l’orphelinat, du moins ce qu’il en reste, ils ne sont pas pour autant forcément des orphelins. Certains ont des parents quelque part. Pour sortir ces enfants de l’enfer de Sarajevo, les autorités italiennes ont prévu de les emmener dans la Péninsule. Une fois en Italie, les jeunes réfugiés sont logés dans une institution religieuse à Monza pour les plus jeunes et près de la côte adriatique pour les plus âgés. Omar et son frère Sen, de quelques années son aîné, sont accueillis par des bonnes sœurs près de Monza. Si Sen plonge rapidement dans cette nouvelle vie oubliant la précédente, Omar est obsédé par la pensée de retrouver sa mère et souhaite rentrer en Bosnie une fois la guerre terminée.

Mais la situation stagne. Une fois la guerre en Bosnie terminée, personne ne parle de retour. Personne ne cherche les parents des enfants qui se trouvent en Italie. La plupart d’entre eux sont déclarés adoptables. C’est le cas d’Omar et de Sen. Ce dernier est ravi d’avoir des nouveaux parents italiens, Omar se rebelle.

Et moi, je me contentais de t’aimer est un excellent roman basé sur un fait réel. Le scandale des enfants adoptés était resté sur le bas-côté de l’Histoire. Ça détonnait dans la version officielle de la grande générosité internationale. Comme la passivité, sinon la connivence, de quelques contingents de l’ONU, à l’occasion de certains massacres perpétrés pendant le conflit. Cette tache restée dans les plis de l’Histoire officielle prend vie sous la plume de Rosella Postorino. Ses jeunes protagonistes, dans leur diversité, bougent entre les lignes. L’écrivaine calabraise a un talent particulier pour les rendre crédibles. Par petites touches. Comme un tableau impressionniste, leurs espoirs, leurs peurs, leurs obsessions, leur orgueil, leur part sombre… transmettent, au fil des pages, une humanité bouleversante.

Informations pratiques
  • Rosella Postorino, Et moi, je me contentais de t’aimer, traduit de l'italien par Romane Lafore, Albin Michel, 22,90 €