Publié le mercredi, 6 juillet 2022 à 09h14
Et Baboucar marchait devant, de Giovanni Dozzini
Pensez à quatre jeunes africains marchant en ligne, le long de routes poussiéreuses, sous les rayons incléments du soleil d'août. Ils portent des tennis défraîchies, des casquettes avec des écritures incongrues, des tee-shirts trop grands récupérés on ne sait où, des sacs à dos et des sacs plastiques pleins de choses indéfinies. Ils marchent sur des chemins où les autres ne marchent pas, dans des banlieues industrielles, sales et désordonnées. Dans leur main, ils tiennent un téléphone portable, la chose la plus précieuse au monde.
Beaucoup se seront demandés où vont ces jeunes gens qui parcourent depuis des années la campagne et les provinces italiennes. Avec son livre magistral, Dozzini tente d'apporter une réponse, en marchant à leurs côtés le long de ces routes poussiéreuses, en nous faisant vivre avec eux l'espace d'une journée.
Au fil de ces 24 heures, avec un réalisme
documentaire, résultat d'une fréquentation
humaine évidente, grâce à un regard presque
anthropologique, bienveillant certes, mais
d'une justesse millimétrée, nous
comprendrons ce que sont ces existences
tombées dans les interstices de nos
sociétés. Nous partagerons leurs espoirs,
leurs peurs, leur besoin de normalité (un
match de football à la télévision, une
journée à la plage). Nous affronterons les
interfaces de l'État avec la même crainte
(Carabiniers vérifiant leurs permis de
séjour, contrôleurs des trains, médecins des
urgences).
Mais en même temps, nous
découvrirons (pour ceux qui ne le savent pas
encore) qu'une bonne partie de la société
n'est pas aussi hostile que ce que nous
lisons dans les journaux. Qu'il y a des
volontaires d'Arci à appeler en cas de
besoin, de vieux pêcheurs qui offrent le
toit d'un hangar abandonné pour passer la
nuit, des carabiniers sévères mais
bienveillants et compréhensifs, des gens
prêts à parler et à essayer de comprendre.
Symboliquement dans le livre, comme dans la
vie réelle, la bienveillance et la
compréhension ont un visage, tandis que la
méfiance et le racisme restent indéfinis,
lointains, cachés dans la masse. L'ignorance
est le moteur des peurs et des pulsions les
plus néfastes de notre société, sur
lesquelles vient se greffer l'opportunisme
de pique-assiette des politiciens
identitaires.
Mais attention, la beauté du livre ne se limite pas à sa seule valeur sociale. L'écriture sobre et sans rhétorique, objective et factuelle, porte des traces poétiques évidentes. Une poétique des marges qui s'exprime dans les descriptions de lieux abandonnés, comme les plages jouxtant des complexes industriels. Mais aussi de situations de friction entre mondes distants, comme la description magistrale de la fête villageoise où les jeunes assistent, ébahis et amusés, à un concert de "ballo liscio".
En attendant que ce livre beau et amusant trouve sa place dans les programmes scolaires, je vous invite à en faire une lecture estivale, pour sa charge humaine, pour son pouvoir lénifiant, pour sa force apaisante contre des peurs factices qui s'évanouiront après avoir passé une journée en marchant sous le soleil d'août derrière Baboucar et ses compagnons d'infortune.