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Publié le jeudi, 26 mars 2020 à 09h53

Écrit la nuit. Le livre interdit de Ettore Sottsass

Par Stefano Palombari

Écrit la nuit. Le livre interdit - couverture

Le nom d’Ettore Sottsass, ne dira peut-être pas grand-chose à certains, d’autres l’associeront au monde de l’architecture et du design, d’autres encore à celui d’un artiste iconoclaste. Ettore Sottsass est un artiste indéfinissable, dans le sens qu’il ne se laisse pas définir. Il était architecte, designer, céramiste… mais aussi penseur, poète, écrivain... Au premier abord, ce “livre illisible”, tiré de Écrit la nuit, précieux ovni littéraire, ne parle pas d’architecture ni de design même si ses deux grandes passions sont toujours présentes en filigrane.

Écrit au début des années 2000, Le livre illisible, traduit de façon spécieuse par « Le Livre interdit », est un récit sur l’amour. L’amour non tant pour sa femme Fernanda Pivano, intellectuelle italienne qui lui a permis de côtoyer les écrivains américains de la Beat Generation, dont elle était la traductrice, mais plutôt pour ses maîtresses, Clelia, jeune Catalane à laquelle est consacré le premier chapitre et surtout Barbara, Barbara Radice de 30 ans sa cadette qui partagera les dernières années de sa vie.

Sottsass aimait beaucoup les femmes. Il avait le sens de la beauté, un sens qui le guidait et parfois le possédait au point de ne pas pouvoir y résister. Les voyages avec Barbara occupent une bonne partie du livre. Les débuts de leur relation, les tentations et les envies que le corps de la jeune fille provoquaient en lui, homme déjà mur. « ’J’aimerais bien te mettre la main aux fesses.’ Sans même se retourner elle me répond : ‘Eh bien, vas-y !’ Et, bien sûr, je ne l’ai pas fait »

Le corps de Barbara déchaîne tous ses fantasmes. Il exerce sur lui un immense pouvoir de séduction. Dans le livre, le trouble provoqué par ce corps jeune et désirable se traduit en descriptions soignées. Comme si le fait de le décrire avait le pouvoir d’apaiser la fièvre du désir. Dès la première rencontre dans l’atelier de Vittorio Gregotti, grand architecte, il est frappé par le charme sauvage de la jeune fille. Ses descriptions sont plastiques, il sait trouver les mots, les adjectifs, les images pour que le lecteur ait une sensation visuelle très proche de la réalité.

« Le corps de Barbara est si beau, si svelte, c’est un vrai corps animal, compact, mais en rien sportif, naturel, au contraire parfait, si féminin, le sexe incrusté entre ses cuisses comme une pierre précieuse, et les bras balayant l’air on ne sait pourquoi, peut-être pour embrasser le ciel sur tout l’espace de l’horizon. »

Au fil des voyages, nous suivons Ettore et Barbara dans leurs fréquents séjours auprès de célébrités : Des architectes comme Vittorio Gregotti et sa femme, que Sottsass fréquentait régulièrement, mais également des intellectuels, l’éditeur Giangiacomo Feltrinelli, des industriels, Roberto Olivetti en couple avec l’actrice Anna Nogara. Réfractaire au charme du futile et de la mondanité, Ettore Sottsass se nourrit des ces expériences pour nous livrer des portraits cruels de la bourgeoisie italienne.

Naturellement, il ne se prive pas non plus de tacler en passant ses collègues architectes. Le plus maltraité est sans aucun doute Ricardo Bofill, « l’architecte espagnol apprécié de Giscard d’Estaing ». « Riccardo Bofill est un homme affamé de succès, nerveux et jaloux, peut-être parce qu’il est de petite taille et toujours obsédé par l’idée que quelque chose puisse lui échapper (…) Il croit que s’il avait pu dessiner la pyramide de Khéops ou le lit de Toutânkhamon, il aurait résolu le problème et il semble ignorer que les habitants de la Papouasie et des millions d’autres êtres humains ne s’intéressent pas tant que ça aux pyramides et aux bâtiments de pierre. »

Bofill incarne l’antithèse de Sottsass. À sa vision absolue, universaliste et achronique, Sottsass oppose son idée de l’architecture, ancrée au moment, à l’invention de « formes adaptées à l’instant et vouées à l’éphémère ». Une architecture qui « s’adresse à des petites communautés passagères, réduites, limitées ».
Par ailleurs, il aimait répéter que « faire du design, ce n’est pas donner forme à un produit plus ou moins stupide pour une industrie plus ou moins luxueuse. Pour moi le design est une façon de débattre de la vie. » Lisez donc ce petit concentré de poésie en prose, interdit non, illisible dans un certains sens, mais absolument réjouissant.

Informations pratiques

Ettore Sottsass, Écrit la nuit. Le livre interdit, Éditions Herodios, 16 €
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