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Publié le mardi, 19 juillet 2022 à 10h28

Dissipatio H. G. roman de Guido Morselli. Le dernier jour de l'humanité

Par Stefano Palombari

Guido Morselli, Dissipatio H. G - couverture

Tout a basculé un 2 juin. Le protagoniste, quarantenaire, journaliste raté, se « confiant » à la première personne, découvre avec effroi que tous les autres habitants humains de la planète se sont littéralement évaporés. La nuit entre le 1er et le 2 juin, à minuit pile, ils ont tous été happés, quelque part, ailleurs. Enfin, tous sauf un. Lui. Quel mérite, ou quelle faute, lui vaut ce privilège ? Ce questionnement, ainsi que plein d’autres qui en découlent, suivent subrepticement cette affreuse découverte de la solitude cosmique.

Que s’est-il passé, cette nuit-là ? Le protagoniste a fait une tentative de suicide. Cette action avortée a-t-elle déclenché cette disparition de masse ? La tentative n’a-t-elle peut-être pas finalement réussi, faisant de lui le seul disparu ? Est-il possible que ce soit un rêve, un long et effrayant rêve ? Que des questions sans réponse.

Cette situation extrême pousse le héraut de ce petit chef-d’œuvre à de profondes réflexions philosophiques. Il est vrai que l’histoire de la littérature foisonne de situations d’isolation extrême. L’exemple le plus immédiat est celui de Robinson Crusoé. Cependant, dans le cas de Morselli, la situation de solitude est, disons, « irréversible », sans espoir, le globe s’étant vidé de toute trace d’humanité.

Mais, d’ailleurs, continue-t-on à être humain lorsque on reste tout seul ? N’avons-nous pas besoin de nos semblables pour pouvoir nous considérer humains ?

Le protagoniste décrit avec sévérité la grande ville pas loin de laquelle, il s’est installé quelques années auparavant. Chrysopolis, la cité de l’or, est le surnom qu’il lui a donné. Elle « accueillait le siège principal de cinquante-six banques (une banque pour sept mille habitants, alors que Paris en comptait une pour quarante mille, Londres une pour cinquante mille) ». L’humanité avait peut-être déjà disparu. Et n’en restait qu’un simulacre qui n’a fait que se dissiper.

Terminé en 1973, refusé par tous les éditeurs, y compris Einaudi où Italo Calvino justifia à plusieurs reprises sa décision irrévocable, ce roman est le testament littéraire de l’auteur qui se suicida la même année, profondément déçu et blessé par l’attitude des maisons d’édition. Le journaliste, protagoniste de Dissipatio, « tente » le suicide à l’aide d’un Browning 7.65, « sa fiancée à l’œil noir » la même arme qu’utilisera l’auteur pour mettre fin à ses jours. Le succès du livre, ainsi que des autres textes de Morselli, suivra de peu la mort de son auteur.

Dissipatio H. G. (Humani Generis) est un livre surprenant, visionnaire. Il est en avance d’environ un demi-siècle sur son temps. Les thèmes abordés dans le livre sont nombreux. Celui de l’écologie est peut-être le plus présent. Le fil rouge qui accompagne le lecteur jusqu’aux dernières pages. Marginal, à l’époque, dans le débat public, il est à la base des réflexions du protagoniste sur la nature et la position de l’homme, « l’espèce la plus dangereuse », à l’intérieur de son écosystème. La disparition du genre humain est peut-être à lire comme une sorte de soupape de sécurité, une dernière tentative, avant l’apocalypse.

Informations pratiques
  • Guido Morselli, Dissipatio H. G., traduit de l'italien par Muriel Morelli, Rivages, 18 €
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