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Publié le jeudi, 29 avril 2010 à 12h15

Ça change quoi ? de Roberto Ferrucci

Par Stefano Palombari

Gênes est une blessure qui a du mal à se refermer. Ce qui s'est passé dans cette belle ville de Ligurie à l'occasion du sommet du G8 en juillet 2001 est d'une telle gravité qu'on a encore du mal à en saisir totalement la teneur. Il faut peut-être du temps. Roberto Ferrucci a eu besoin de six ans pour pouvoir essayer de faire comprendre l'horreur de cette violence aveugle et gratuite, une violence qui a laissé des traces profondes. Et qui a réussit, dans son objectif, sinon de « tuer » le mouvement alter-mondialiste, au moins de le déstabiliser durablement.

La forme narrative choisie par Ferrucci, la littérature, permet d'associer à l'horreur des faits, la force des sentiments, la puissance des sensations. Mais que s'est-il passé en réalité à Gênes ? Ou plutôt, comment est-il possible que dans une démocratie moderne, « occidentale » (en utilisant cet adjectif abusé et utilisé de façon inappropriée en tant que synonyme de civilisé), ait lieu une telle violation des droits les plus élémentaires. Antonio Tabucchi dans la préface au roman de Ferrucci utilise des termes très forts. D'après lui, les événements qui ont eu lieu à Gênes entre le 19 et le 22 juillet 2001 ont fait tomber le masque de la « démocratie » italienne. Ils ont montré que cette démocratie n'était qu'apparente.

L'auteur du livre, journaliste et écrivain, était présent au moment des faits. Il les a vécus. Pas tous directement mais il a pu en saisir le climat, l'essence. Tout a été calculé, prémédité, dans le moindre détail. La police qui se prépare à la bataille avant même que celle-ci ne soit annoncée. Les autorités qui alertent la population. Les commerçants qui protègent leurs boutiques comme si elles étaient placées au beau milieu d'un territoire que plusieurs états se disputent. Le personnage principal du livre (qui n'a pas mal de traits en commun avec l'auteur) accompagné par un jeune cameraman a été témoin de tout ça.

De nombreuses questions restent sans réponse. Tout d'abord, les Black blocs, les casseurs qui se sont préparés tranquillement pour commettre des actes illégaux. Et ensuite ils ont pu agir en toute impunité sous le regard des policiers qui ne sont pas intervenus. Ils ont tout démoli, personne ne les a dérangés ni avant ni pendant ni après leurs actions.

Puis il y a eu la manifestation pacifique des alter-mondialistes. Et là, la police est intervenue tout de suite en utilisant des gaz d'un nouveau type, particulièrement toxiques. Ferrucci dans son livre donne pas mal de détails accablants à propos de cette substance. Mais l'action de la police ne s'est pas limitée aux gaz. Les matraques, les coups de pieds, les violences physiques et verbales ont accompagné toutes leurs interventions. Il y a eu un mort, Carlo Giuliani, un jeune homme de 23 ans, que les autorités ont tout fait pour le faire passer pour un terroriste. Le personnage principal du livre a la confirmation, en regardant des photos qui lui ont été transmises par un avocat, que le pistolet du policier était braqué bien avant l'apparition de l'extincteur. Ceci n'était qu'une dernière tentative de défense, puis la camionnette des Carabiniers lui a roulé deux fois dessus.

Mais l'horreur n'était qu'au premier acte. Pendant la nuit du 21 au 22 juillet la police entre à l'école Diaz où dorment les manifestants et se livre à des actes dignes du Chili de Pinochet. Le sang coule à flot. Les jeunes gens qui ne sont pas hospitalisés sont trainés à Bolzaneto, une caserne où les tortures physiques et psychologiques continuent pendant plusieurs jours en toute impunité. Personne ne sera inquiété, pas même les policiers qui ont avoué. Le livre de Ferrucci est une étape fondamentale, incontournable, dans le travail de réflexion sur ces événements et aussi sur la stabilité de nos institutions démocratiques.

Interview de Roberto Ferrucci

Informations pratiques
Ça change quoi ?
Auteur : Roberto Ferrucci
Traducteur : Jérôme Nicolas
Éditeur : Seuil
Prix : 19,80 €
Parution : 14 avril 2010

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Ça change quoi ? - Couverture
Seuil, avril 2010, 19,80 €