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Publié le dimanche, 13 novembre 2016 à 10h30

Sur cette terre comme au ciel de Davide Enia

Par Riccardo Borghesi

Sur cette terre comme au ciel - couverture

Davidù, voix narrative et alter ego de l’auteur, est l’héritier d’une famille dont les hommes ont pratiqué la boxe depuis plusieurs générations. Le grand-père, le père jamais connu et l’oncle ont exercé le "noble art" avec un succès mitigé, sans jamais cueillir de titre national, comme par une malédiction familiale. Davidù héritera donc aussi du devoir de rompre cet enchantement.

Ce livre, œuvre première de Enia, déjà connu en Italie comme homme de théâtre, est un roman de formation. Mieux, c’est l’enchevêtrement parfois inextricable, de la formation des hommes de la famille sur plusieurs générations: on trouve la guerre en Afrique, les américains libérateurs, l’émigration en Allemagne, l’après-guerre, les attentas mafieux des années 90.

L’écriture sèche et théâtrale cultive souvent l’ambiguïté et nous perd dans le récit de vies entrelacées avec un très bel effet surréel: de qui parle-t-on maintenant? Du père, du grand-père, de Davidù lui-même? Les sauts temporels n’aident pas à nous repérer, tant la nature immuable des personnages semble transcender le temps dans cette Sicile qui est traversée par l’histoire, mais qui reste toujours pareille à elle-même.

C’est, comme vous pouvez deviner, un roman de mâles. Ou du moins, un roman imbibé d’un imaginaire masculin archaïque fait de muscles, de sentiments inexprimés, de faiblesses à cacher, de femelles à conquérir, de peu de mots et de longs silences, d’honneur à racheter par les coups, de prostituées meilleures amies de l’homme, d’épouses et mères saintes protectrices.

La beauté extrême des scènes de boxe, la richesse du répertoire de l’histoire familiale dans lequel l’auteur pêche à pleines mains et qu’il conte avec une grande fraîcheur, s’entremêlent à des aspects qui m’ont laissé perplexe : l’auteur partage-t-il ce modèle masculin? Le personnage du « bon fasciste » a-t-il existé ou incarne-t-il un idéal? Les femmes, dans la Sicile de ces temps lointains, étaient-elles vraiment si faciles à conquérir et si libres de se faire conquérir, comme le roman semble le suggérer?

L’église avait-elle vraiment si peu d’importance? Et la mafia n’était-elle qu’un bruit de fond fait d’embuscades et « ammazzatine » (les homicides dits à la Cammilleri) ou de juges tués dans les pages des journaux?

Mais finalement, il y a le bon Gerruso, le souffre-douleur, l’ami faible jamais pleinement accepté sauf avec honte, gardé à distance, mais profondément fidèle et amoureux comme un chien battu qui lèche la main qui le bat. C’est en pensant à la figure de Gerruso que mes doutes de lecteur se sont en partie estompés et ont fini par me laisser croire qu'au fond l’auteur regarde ce monde de mâles d’un autre siècle avec l’affection qu’on accorde aux cultures ancestrales en voie de disparition.

Je tiens à souligner pour finir, la belle traduction de Françoise Brun, qui judicieusement conserve les inserts en dialecte sicilien. Seul défaut, incompréhensible manque de respect, le changement de titre, qu’à l’évidence la maison d’édition a estimé trop elliptique : de « Così in terra » à « sur cette terre comme au ciel ». En ajoutant le ciel, là où il n’y a que la terre.

Informations pratiques
Sur cette terre comme au ciel de Davide Enia, Alban Michel, 22 €

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