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Publié le vendredi, 23 août 2019 à 10h26

Une sombre affaire, roman d'Antonella Lattanzi

Par Deborah D'Aietti

Une sombre affaire - couverture

Une sombre affaire est le troisième roman d’Antonella Lattanzi. Ce roman noir raconte le meurtre de Vito, ex-mari violent de Carla, qui avait été invité à l’anniversaire des trois ans de Mara, sa dernière fille. Il s’agit d’un drame familial où chacun des personnages est poussé dans ses plus profonds retranchements.

Si toute la famille est mise à l’honneur au fil de l’intrigue, Carla prend cependant de plus en plus d’importance. En effet, la tension du livre réside dans le jugement que doit se faire le lecteur sur son personnage : cette ex-épouse victime de violences conjugales restée une mère dévouée, est-elle victime ou coupable ?

Le fait divers est traité avec originalité, par la pluralité des personnages. On ne suit ni les enquêteurs ni les avocats mais tout l’entourage de Vito : de Milena, sa maîtresse, à Mimma, sa sœur, en passant par les enfants Nicola et Rosa, et même le nouveau conjoint de Carla, Manuel Bocci… une manière de souligner l’importance de la famille dans l’histoire. Vito, malgré ses démons, représente aussi la figure du patriarche.

Le récit est aussi mis en relief par une narration dynamique. En effet, le narrateur omniscient emploie parfois la seconde personne. Le « tu », intrusif, devient presque voyeur : « Nicola rangeait en vrac ses quelques affaires dans les cartons. Il les remplissait mal, les fermait mal, dès que tu les prenais pour les déplacer, certains cartons s’ouvraient par le fond et tout sortait. Il pleuvait depuis des jours, de petites gouttes (…) mais qui t’assaillaient de partout… ».

La construction du livre se résume en deux parties : la disparition et le procès. La première partie situe l’action avant que ne soit découvert le corps de Vito. Elle pose les personnages et leurs psychologies : Carla, cette ex-épouse victime de violences conjugales mais assumant plus que jamais son rôle de mère, les enfants dont Nicola et Rosa, les aînés qui vivent ensemble une relation fusionnelle voire ambiguë, Mara, adorable petite fille devenant malgré elle un objet de chantage ; Milena, la maîtresse de Vito, identifiée comme un paria par la famille de Vito… mais cette première partie traîne en longueur. Les psychologies pourtant bien détaillées, desservent parfois la narration, car elles se prêtent souvent à d’importantes digressions ou bien à des retours en arrière, ayant un étrange effet sur le rythme du récit. Par exemple, le roman s’ouvre sur une rencontre nocturne entre Carla et son amant Manuel. Puis, le second chapitre s’ouvre par un simple « Avant » en italique : une pirouette narrative qui gêne au fil de la lecture.

Ce rythme quelque peu en dents de scie fait que le suspense s’essouffle peu à peu alors que Vito n’est retrouvé que tardivement. Cette longue attente est pourtant bien installée dans un environnement étudié : Rome est déserte en plein mois d’août et la chaleur qui s’abat sur la capitale fait l’objet de nombreuses occurrences : « on était en août, il faisait trop chaud, on pouvait à peine respirer et il y avait un air de défaite ».

La seconde partie traite du long et lourd procès de la présumée coupable du meurtre de Vito. Plus incisive que le début du roman, cette seconde partie dénoue cependant les nœuds de l’intrigue de façon équivoque. Le sort judiciaire de l’accusée est tranché mais il ne s’agit pas du verdict final. La préméditation est le curseur qui fera pencher le jugement du lecteur du côté de la victime ou du coupable.

A force de jouer sur l’ambiguïté, le récit devient trop complexe. Pourtant les questions de société soulevées, notamment celles autour des violences conjugales deviennent un objet littéraire, afin de mieux les dénoncer. La violence des actes passe par la violence des mots, devenue quotidienne : « Je jure que je te tuerai, Carla, je t’égorgerai comme un cochon et je tuerai aussi nos enfants- combien de fois Carla avait-elle entendu son mari dire ça ». Puis viennent les opposants, ceux qui temporisent voire nient : « il y avait ceux qui avaient crié au complot, qui soutenaient que Vito n’était pas un homme violent, au contraire, il était plein de qualités… ». L’auteure décrit avec réalisme le schéma abject lié aux violences faites aux femmes. Le drame familial aurait pu aboutir sur une forme d’engagement contre les violences faites aux femmes, à l’inverse il s’achève sur un énigmatique retournement de situation.
Une sombre affaire reste alors sur l’anecdote du fait divers et sur le poids des psychologies trop torturées de ses personnages.

Informations pratiques

Antonella Lattanzi, Une sombre affaire, éditions Actes Sud, traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli., 22,50 €
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