Publié le lundi, 23 juin 2014 à 13h42
Un coup de téléphone du ciel de Sandro Veronesi
Flirtant avec la folie du réel, comme toujours, Sandro Veronesi dessine un univers peuplé de figures extravagantes. Les personnages de ce recueil sont écrasés par leur simple quotidien et souvent les événements les plus banales, qui ne prêtent apparemment pas à conséquence, introduisent toute la tension à la nouvelle.
L’écrivain se penche comme avec une loupe sur ce moment de rupture où la réalité et l’imaginaire finissent par se confondre. Ce qui est clair, c’est que passe dans la voix exemplaire du narrateur une simple exigence : veiller à ce que la réflexion ne puisse être parasité par le chaos, prompte à jaillir à la moindre étincelle.
L’auteur dépeint avec une remarquable économie de mots et une justesse de ton, la solitude intérieure de chacun des protagonistes. Il y a très peu de notations concrètes. Peu de digressions, presque pas de descriptions, il garde une distance juste pour mieux souligner leurs fragilités. Sous son trait il fait passer un incident banal pour un choc décisif. Même les objets prennent une connotation très particulière. Il suffit de la perte d’un briquet, pour mettre à nu les fragilités et faire céder toute résistance. Cette jouissance à jouer les irrationnels, se plaçant ainsi à l’égal de ses personnages, va même jusqu’à atteindre des sommets au moment du climax parfait, qui caractérise la structure de chaque nouvelle.
Certes il se place dans le sillage de Carver, mais il excelle à introduire ses histoires avec des incipit fulgurants. Tout commence par une déflagration : « Je sais qui tu es, Sandro Veronesi, je connais ton âme et je te dis que tu feras tout ton possible pour que ton père ne meure pas dans un lit d’hôpital » La mort c’est le premier des chocs. L’auteur creuse un trou au cœur de ses textes et les personnages s’y plongent pour faire ressortir leur désir d’ordre.
Au moment où la nouvelle prend fin le sens glisse subrepticement vers cette absence qui va décaler le récit vers une autre narration. C’est bien sa force que de suggérer, plutôt que de dépeindre et il ne faut pas chercher à comprendre, à rétablir une structure rationnelle. Ce recueil met en lumière l’idée que tout être est foncièrement condamné à exister. La force du livre de Veronesi est de donner à cette condamnation un sens concret et éphémère à la fois. Le lecteur éprouve une fascination immédiate pour ces personnages inaptes à vivre, qui suscitent la pitié. Serait-ce elle, cette pitié, le dernier rempart contre le chaos ?