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Publié le dimanche, 24 novembre 2019 à 10h52

Rhapsodie italienne, roman de Jean-Pierre Cabanes

Par Deborah D'Aietti

Rhapsodie italienne - couverture

Rhapsodie italienne est une saga historique, qui malgré ses 725 pages, se lit presque d’une traite. A travers une histoire d’amitié entre Lorenzo Mori et Nino Calderone, Rhapsodie italienne raconte la naissance, la montée et le déclin du fascisme. Les destins respectifs des protagonistes permettent d’approcher les sphères les plus hautes de la société italienne, jusqu’à Benito Mussolini. L’histoire se déroule de 1915 à 1945 : trente ans de péripéties où les parcours de vie se mêlent à la grande Histoire. Manigances, coups bas et coups de cœur, alternent avec les campagnes, les batailles, les scenarii militaires et les plans politiques.

Lorenzo et Nino sont deux personnages que tout oppose, notamment du fait de leur catégorie sociale et de leur distance géographique… Lorenzo est un jeune et brillant officier de l’armée italienne résidant à Vérone, tandis que Nino est un jeune saltimbanque de Sicile, qui en 1915, au moment de l’entrée en guerre de l’Italie, ne se sent pas concerné par la défense de sa patrie. Un évènement personnel va le motiver à partir à la guerre. Et c’est véritablement la guerre qui va les rapprocher et nouer cette amitié inédite.

Les scènes de bataille sont particulièrement bien détaillées et haletantes, tout en montrant les conséquences psychologiques qu’elles provoquent sur les soldats. Celles relevant de la Première Guerre Mondiale rappellent la même entrée en matière que dans Au revoir là-haut de Pierre Lemaître.
La guerre est ambivalente : si elle est critiquée, elle constitue parfois un exutoire pour les personnages qui continuent de vivre grâce à l’adrénaline qu’elle provoque. En témoigne l’engagement de Lorenzo et de Nino auprès des arditi, corps spécial de l’armée italienne durant la Première Guerre Mondiale connu pour son exigence physique et sa pugnacité : « Lorenzo se tait. S’il s’est engagé chez les arditi, c’est dans l’idée d’être tué au combat. Cela ne s’est pas produit (…) L’appartenance à une unité d’assaut éloigne la mélancolie et produit un effet inattendu, il aime les arditi, il aime la guerre. Il se refuse à envisager ce que sera sa vie quand la guerre sera finie, s’il en revient ».

Si les deux personnages sont au centre du roman, les femmes ne sont pas pour autant laissées de côté : Carmela, Julia et plus tard Laura deviennent tour-à-tour des personnages-pivots de l’intrigue. Par exemple, Laura, la fille de Lorenzo, que le lecteur découvre dès son plus jeune âge, manifeste de plus en plus un dégoût pour le fascisme, alors que son père gravit les échelons au sein du régime. Elle s’engage auprès du parti communiste et part pour la France, puis la Russie… pour revenir lors de la Seconde Guerre Mondiale en Italie du côté des partigiani.

L’Histoire, qui, au départ constitue la toile de fond du roman devient de plus en plus présente, jusqu’à en devenir le cœur du récit : son intensification va crescendo. Le parcours des personnages oriente l’intrigue jusqu’au centre du pouvoir. Les personnages fictifs se mêlent aux personnages réels qui ont fait l’Histoire : Benito Mussolini, Margherita Sarfatti (sa maitresse et conseillère politique dans les années 20-30) ou encore Galeazzo Ciano, haut dignitaire du fascisme et gendre de Mussolini qui sera fusillé par ses ordres. On remarque alors l’importance des travaux préparatoires de Jean-Pierre Cabanes, qui « a fait son miel » à partir d’une importante bibliographie, souvent jamais traduite en français, et qui contribuent à la véracité du récit. L’auteur expose avec grande précision des épisodes historiques, parfois moins connus. Par exemple, la séance du Grand Conseil fasciste des 24 et 25 juillet 1943, avec l’ordre du jour Grandi : « Vingt ans de fascisme sont en jeu, le sort de la guerre aussi. L’Italie toute entière devrait être suspendue au résultat de la séance, mais l’Italie ne sait rien ». Cette séance du Grand Conseil, la dernière en date, eut pour effet la chute du régime de Mussolini, suite à l’arrestation de celui-ci par le roi Vittorio Emanuele III.

Le livre révèle et explique les prémisses du fascisme, son heure de gloire et son déclin. Lorenzo Mori éprouve une fidélité de tous les instants pour Mussolini, plus à l’homme qu’à la cause fasciste. La proximité de Lorenzo avec le Duce, permet de voir le leader politique finalement affaibli, tendu dans les derniers moments de son régime : « Le crâne rasé montre des rougeurs, les traits se défont, la bouche glisse sur le côté et la voix, maintenant sourde, ne fait plus entendre les résonances métalliques du chef ».

Rhapsodie italienne est un tourbillon historique et romanesque qui plaira aussi bien aux passionnés d’histoire qu’aux lecteurs amateurs de grandes sagas.

Informations pratiques

Jean-Pierre Cabanes, Rhapsodie italienne, Albin Michel, 22,90 €
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