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Publié le vendredi, 14 janvier 2022 à 10h13

Rétrospective Marco Ferreri à la Cinémathèque française

Par Valérie Mochi

Marco Ferreri, Annie Girardot et Michel Piccoli sur le tournage du film Dillinger est mort

Cinéaste à scandale, Marco Ferreri est surtout célèbre pour La grande Bouffe (La grande abbuffata) de 1973, or en 2022 la question se pose, le scandale sera-t-il toujours aussi puissant ?
Réponse à la Cinémathèque française qui projettera tout Ferreri pendant un mois à partir du 26 Janvier 2022. Sa filmographie intégrale, courts, longs métrages, pour le cinéma et la télévision, documentaires, une trentaine de films pour découvrir ou revoir toutes les audaces et les provocations de ce cinéaste fortement attaché à la France de par sa présence assidue au Festival de Cannes et le choix de ses acteurs.

La grande Bouffe, LE film qui colle à la peau de Marco Ferreri et sans doute LE film idéal pour mettre en évidence son mécanisme créatif : regarder, analyser, concevoir, créer… Une abstraction qui s’exprime par le corps, la nature animale de l’homme, sa beauté et son horreur.
Car Ferreri est un artiste, sa démarche, tout au long d’une filmographie plus que cohérente et structurée dans le temps, vise à mettre le spectateur face à la réalité, face au monde qu’il est en train de se fabriquer et que Ferreri trouve absurde. Pour se faire entendre il a besoin du scandale, de la provocation, il joue les ogres avides de bonne chair et de plaisirs, pour mieux dissimuler la dimension politique et sociale que transmettent ses films. Peut-être l’expression du comble de la pudeur.

Tout commence par une période espagnole, Marco Ferreri, à trente ans, tourne trois films en trois ans El pisito 1958, Los chicos 1959 et El Cochecito (La carrozzella) 1960 et fait une rencontre importante, Rafael Azcona, auteur satiriste qui deviendra l’un de ses plus fidèles collaborateurs. Pendant près de trente autre années, ensemble, ils seront les auteurs de scénarios allant de la farce grotesque aux drames extrêmes, humour corrosif garanti et récompenses dans tous les festivals, de Cannes à Venise, de l’Europe à l’international.

La trilogie tournée en Espagne ne déroge pas à la règle, les films obtiennent des prix à Sant Jordi, Valladolid, et Venise. Forts de ces succès, les deux amis rentrent à Rome et donnent le jour au Le lit conjugal (Una storia moderna - L'ape regina) 1963, premier film d’une autre trilogie, italienne cette fois, basée sur des relations de couple aberrantes, avec Le mari de la femme à barbe (La donna scimmia) et Marcia nuziale. La censure qui les traquait déjà en Espagne est plus virulente en Italie quand le Vatican s’en mêle et ce, malgré un prix au Festival de Cannes pour Marina Vlady et un Nastro d’Argento à Ugo Tognazzi.
L’année suivante, La femme à barbe sera l’occasion d’une deuxième sélection pour M. Ferreri à Cannes et sa collaboration avec une autre actrice française, Annie Girardot.

Ugo Tognazzi incarne le personnage central des 3 films et devient l’alter ego, l’ami de Marco Ferreri. En 1965 entre en scène un deuxième complice, Marcello Mastroianni, que Ferreri détourne de ses rôles habituels pour lui demander d’interpréter un fou, drôle et inquiétant, obsédé par le gonflage de ballons dans Break-up, érotisme et ballons rouges (L'uomo dei palloni) film d’ouverture de la rétrospective le 26 janvier.
Quelques années plus tard, c’est Michel Piccoli qui se joint à la bande avec Dillinger est mort (Dillinger è morto) (1968). Il est l’acteur parfait pour incarner un personnage aussi dérangeant que Glauco le bien nommé. Un film de rupture dans la filmographie de Ferreri, un film conceptuel, pop, nihiliste et drôle.

Annie Girardot y interprète une bonne, étrange autant que Piccoli avec qui elle a une scène de jeu érotique au miel (la nourriture et le sexe) et un numéro de danse couverte d’un voile qui ne cache aucune forme, très semblable à celui de Le mari de la femme à barbe. A. Girardot reviendra une troisième fois dans un film de Ferreri, l’année suivante, pour La semence de l’homme (Il seme dell'uomo) avec Anne Wiazemski, encore une actrice française.

Puis en 1971, Tognazzi et Piccoli sont réunis pour L’audience (L’udienza), cette fois l’obsession du héros est d’obtenir une audience avec le Pape. L’année suivante Marcello Mastroianni tourne à nouveau avec Ferreri, dans Liza (La cagna), un autre délire d’homme perdu avec Catherine Deneuve, transformée en femme chienne, et Piccoli en frère de Mastroianni.

Puis arrive le film scandale, sifflé à Cannes, censuré, de nombreuses scènes coupées, 8 minutes de différence entre la version française et l’italienne, La grande Bouffe (La grande abbuffata) en 1973. Il réunit le trio Tognazzi, Mastroianni et Piccoli, trois acteurs qui ne cesseront de se croiser et se recroiser tout au long de leurs multiples collaborations avec Ferreri.

Pour cette féroce critique de la société de consommation condamnée à l’autodestruction inévitable dixit Ferreri, « Basta con i sentimenti, voglio fare un film fisiologico! » (ça suffit les sentiments, je veux faire un film physiologique !), quatre hommes se donnent rendez vous dans une villa pour cuisiner, manger, baiser, péter, et déféquer jusqu’à épuisement. Le quatrième complice, est interprété par Philippe Noiret, la femme, une autre actrice française, par Andrea Ferréol qui présentera le film le 29 janvier à la Cinémathèque en compagnie de Gabriela Trujilo auteur d’un récent essai « Marco Ferreri : Le cinéma ne sert à rien » (Editions Capricci, 2021).

En 1974 Marco Ferreri réunit à nouveau les quatre acteurs, Mastroianni, Tognazzi, Piccoli, et Noiret, ils sont respectivement le général Custer, Mitch l’éclaireur indien, Buffalo Bill, le général Terry dans un western ayant pour décor le trou des Halles durant la destruction des pavillons Baltard, Touche pas à la femme blanche ! (Non toccare la donna bianca). Catherine Deneuve est la femme blanche, Alain Cuny Sitting Bull, Darry Cowl Major Archibald et Serge Reggiani un indien fou dans cette parodie la bataille de Little Bighorn, un film qui dénonce autant le massacre des indiens que l’expulsion des parisiens pauvres hors de la capitale.

Ferreri enchaîne rapidement deux films avec Gérard Depardieu, La Dernière Femme (L'ultima donna) avec Ornella Muti et… Michel Piccoli en France, puis Rêve de singe (Ciao maschio) avec… Marcello Mastroianni aux Etats-Unis. Dans ces deux films Ferreri traite encore de la relation entre homme et femme mais cette fois il va plus loin, le féminisme, l’émasculation, plus d’espoir pour le couple, les enfants sont l’avenir. Alors le film suivant se déroule dans une maternelle, Roberto Benigni est le maitre d’école de Pipicacadodo (Chiedo asilo) avec encore une actrice française, Dominique Laffin.

Retour aux démons du sexe et de l’alcool avec Les Contes de la folie ordinaire (Storie di ordinaria follia) adaptation de nouvelles de Charles Bukowski en 1981 avec Ben Gazzara et Ornella Muti. Et encore un livre pour L'Histoire de Piera (Storia di Piera) l’autobiographie de l'actrice italienne Piera Degli Esposti écrite en collaboration avec Dacia Maraini, Isabelle Huppert interprète le rôle de Piera, Hanna Schygulla sa mère et… Marcello Mastroianni son père. Toujours dans la continuité, Le futur est femme (Il futuro è donna) avec les mêmes scénaristes, Ferreri, Maraini et Degli Esposti et Hanna Schygulla, Ornella Muti et… un nouveau, Niels Arestrup.

En 1986 les obsessions reprennent le dessus, Christophe Lambert devient fou d’un porte clef dans I love you, Eddy Mitchell y est son partenaire avec Agnès Soral, Anémone et Jean Reno.

Piccoli revient en 1988 dans Y’ a bon les blancs (Come sono buoni i bianchi ) en Père Jean Marie avec Michele Placido, Maruschka Detmers, Nicoletta Braschi, Jean François Stevenin et Alex Decas partis dans un convoi humanitaire pour sauver des enfants en Afrique.

Puis Ferreri s’attaque aux maisons de repos, toujours à sa manière, l’amour et le sexe faisant partie de la vie, avec La Maison du sourire (La casa del sorriso) interprété par Ingrid Thulin et primé à Berlin. Du sexe encore jusqu’à la mort sans La chair (La carne) avec Sergio Castellitto et Francesca Dellera, Philippe Léotard et Farid Chopel. Puis l’histoire d’un érotomane, Benito interprété par le comique Jerry Calà avec Sabrina Ferilli dans Journal d'un vice (Diario di un vizio) en 1993. Et pour finir Nitrate d’argent (Nitrato d’agento) en 1996, célébration des 100 ans du cinéma, et amour de toute une vie.

Le 28 janvier 2022 sortent en DVD El COCHECITO, Le LIT CONJUGAL, LE MARI DE LA FEMME A BARBE et DILLINGER EST MORT

Informations pratiques
  • Cinémathèque française
  • 51 Rue de Bercy - 75012 Paris
  • A partir du 26 janvier 2022

Tarif préférentiel 4€ au lieu de 7€ avec le code MFITALIEAPARIS sur la billetterie en ligne (toutes les séances)

Jeu-concours des places à gagner réservé aux abonnés à notre lettre
(pour participer au concours, cliquez sur ce lien et répondez aux trois questions)