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Publié le dimanche, 10 mars 2019 à 09h56

Portrait d'une jeunesse italienne

Par Valérie Mochi

Frères de sang - une scène du film

Frères de sang et A l’improviste  sont des films sur le passage de l’enfance à l’âge adulte, les copains, les premières amours, la pauvreté et surtout la tentation de l’argent facile dans la périphérie romaine pour le premier et napolitaine pour le second. Les deux films ont été primés dans de nombreux festivals à travers le monde.

Frères de sang - une scène du film

« Néo néoréalisme » expression proposée il y a une dizaine d‘année par la critique pourrait convenir à ces deux films qui reprennent les thèmes de ce courant si célèbre : histoires de banlieue et de criminalité, misère sociale, morale, acteurs non professionnels.

A l’improviste - une scène du film

D’ailleurs cette année d’autres films italiens ont pour sujet la vie des bandes de gamins délinquants dans Naples : Piranhas de Claudio Giovannesi (Ours d’argent à Berlin du Meilleur Scénario) et Selfie de Agostino Ferrente mais avec des styles différents, fiction classique pour le premier et documentaire au smartphone pour le second.

Les deux films de cette chronique Frères de sang et A l’improviste ont pour point commun d’être des premiers films réalisés par de jeunes réalisateurs, des trentenaires, les frères jumeaux romains Damiano et Fabio D’innocenzo et Ciro D’Emilio le napolitain.

Si leurs origines les font tourner dans leurs régions de naissance, à l’écran les lieux ne sont pas clairement reconnaissables, l’abus de gros plans dans les deux films certes rapproche le spectateur des personnages, mais il limite nettement l’espace, les possibilités de se perdre dans les décors, tout est borné, comme l’horizon de ces jeunes, les personnages principaux.

Frères de sang - une scène du film

Seuls les accents des acteurs situent les lieux de l’action, magnifique phrasé napolitain d’Anna Foglietta (actrice romaine), la mère de Antonio dans A l’improviste et gouaille romaine pour Luca Zingaretti dans Frères de sang, le chef mafieux.
Ce sont les deux acteurs célèbres, le reste de la troupe pour chaque film en est à ses débuts, les protagonistes des Frères de sang, Andrea Carpenzano Manolo et Matteo Olivetti Mirko, comme Giampiero De Concilio Antonio et son ami Domenico Peppe Cioffi dans A l’improviste, ainsi que les second rôles comme les petites amies respectives, Michela De Rossi, Ambra et Sara Affinito, Sara.

A l’improviste - une scène du film

En revanche pour le choix des équipes techniques, les frères D’Innocenzo ont fait appel à des chefs de département confirmés (lumière, son, décor) tandis que D’Emilio travaille avec des quasi débutants. Il faut dire que le budget de A l’improviste était vraiment réduit, 350 000 eur sans que le spectateur ne perçoive le moindre manque, au contraire la réalisation est impeccable comme celle des frères D’innocenzo.

Les films montrent les relations de deux amis Antonio et Domenico dans A l’improviste et Manolo et Mirko pour Frères de sang, au début amicaux, de connivence, puis petit à petit les relations s’enveniment, on passe à la haine, au rejet, un monde où les adultes sont mis de côté ou ont directement une influence négative. Un père qui pousse son fils à la délinquance pour Manolo et une mère qu’il faut surveiller et protéger comme une enfant pour Antonio.

Mirko a peur de sombrer dans la criminalité comme son ami Manolo, Antonio aussi doit résister à la mauvaise influence de Domenico, mais il n’a pas droit à l’erreur s’il ne veut pas être séparé de sa mère. L’assistante sociale ne peut plus les couvrir, sa mère est capricieuse, colérique, perturbée, le comble pour une mère italienne qui d’habitude représente la protection absolue pour ses enfants. Toutefois elle se sacrifie encore plus qu’une mère dite « normale » pour son fils, elle le sauve malgré lui.

A l’improviste - une scène du film

Entraînements de foot, jardinage avec sa mère, le soir pompiste dans une station essence, c’est la vie bien ordonnée d’Antonio. Son rêve est de devenir footballeur professionnel et de changer de club et de ville pour emmener sa mère loin de cette banlieue et fuir la misère et les souvenirs.

Les rêves de Manolo et Mirko ne sont pas si éloignés, en dévorant leur dîner dans leur voiture, les vitres embuées, sur un parking désert, ils font des plans d’avenir, combien d’années encore avant de pouvoir quitter l’école hôtelière, combien de pizza à livrer le soir avant de pouvoir monter leur propre affaire ?
Puis tout bascule lorsqu’ils heurtent quelque chose sur le chemin du retour. C’est un homme qu’ils abandonnent lâchement, un repenti recherché par la mafia locale, l’occasion de transformer l’accident en crime, et leur permettre d’entrer dans le clan mafieux.

Ils se transforment comme Antonio en braves petits soldats, obéissants ils ont arrêté de réfléchir, insensibles ils sont devenus des machines de guerre, seul moyen de supporter ce carnage quotidien. Leur ascension inébranlable les rend riches mais l’argent n’a plus autant d’intérêt qu’auparavant, ils ont tué leur désir.

Jusqu’au moment où le drame survient, dans les deux films, c’est la catharsis, Antonio et Mirko deviennent des adultes mais n’ont plus de famille, plus d’amis.

Frères de sang - une scène du film

Morale de l’histoire, ne pas être trop gourmand et se contenter du disponible ou qui risque trop perd beaucoup… Le constat est rude de toutes les façons, les perspectives pour ces jeunes de banlieue sont très réduites et le traitement brut des deux films est en adéquation avec la vie si pénible de ces jeunes. Concentrés sur le quotidien de leurs protagonistes, les films ne laissent aucune place à la distraction. Ces jeunes sont confrontés à leur propre réalité, coupés du monde, ils sont face à leurs destins, seuls.

On attend avec impatience les prochains films de ces jeunes réalisateurs, car après avoir dressé un portrait si sombre de cette jeunesse italienne actuelle, on espère qu’il leur reste une lueur d’espoir, un avenir, un devenir possibles qu’ils transmettent aux nouvelles générations.

Informations pratiques

► Plus d'infos sur Frères de sang de Damiano et Fabio D'Innocenzo