Publié le vendredi, 30 novembre 2018 à 09h18
Piranhas, nouveau roman de Roberto Saviano
Piranhas, ou La Paranza dei Bambini de son titre original, est le premier roman de Roberto Saviano. Célèbre pour ses enquêtes chocs sur la mafia napolitaine et le système international des narcotrafiquants, Roberto Saviano explore dans ce nouveau texte l’univers des baby gangs à Naples.
« Les personnages et les faits sont imaginaires, mais le milieu et la réalité sociale qui les ont produits sont authentiques » Roberto Saviano, avant-propos de Piranhas.
Roberto Saviano a investigué sur ces baby gangs : il s’inspire notamment d’Emmanuele Sibillo, mort en juillet 2015. Avec son gang, ils ont réussi à semer la terreur sur Naples pendant quatre ans. Le titre original La Paranza dei Bambini fait directement référence au titre de l’enquête qui concernait Emmanuele Sibilo et ses amis. La « paranza » désigne le bateau utilisé pour attirer les petits poissons dans de gros filets ; puis ensuite la friture de ces fameux poissons. Ce terme est aussi utilisé dans le jargon de la mafia napolitaine pour désigner un groupe de camorristi.
Dans Piranhas, on suit l’ascension fulgurante de Nicolas Fiorillo, alias Maharaja, et de sa bande dans le quartier de Forcella. Ils ont entre 10 et 19 ans, se déplacent à scooter, ils sont fascinés par l’argent, le pouvoir et la violence. Ils veulent peu à peu se démarquer des gros poissons de la Camorra et prendre leur indépendance. La mort, ils l’ont intégrée et ils préfèrent en finir glorieusement plutôt que de mener la vie banale et médiocre de leurs parents, qui s’escriment au travail pour gagner un salaire de misère.
Piranhas ne cache pas l’ultra-violence, qu’elle soit physique ou psychologique.
Le récit s’ouvre en effet sur une scène d’humiliation : Nicolas Fiorillo et son groupe d’amis encerclent et ligotent un jeune homme pour en faire un « mange-merde ». C’est la punition pour avoir trop liké et commenté les photos de Letizia, la petite amie de Nicolas. Cette scène d’ouverture donne le ton au roman : rien n’arrête ces jeunes garçons dans leur recherche du pouvoir. Pour faire partie des « baiseurs » et non des « baisés », il faut apprendre à s’imposer, se faire respecter. Tous les moyens sont bons pour semer la terreur. Tout va très vite, trop vite… jusqu’à se brûler les ailes, bien au-delà de celles qu’ils se sont tatoués dans le dos.
C’est un roman d’apprentissage à l’envers : la réalité de ces jeunes est complètement altérée par leur conception de la vie, où le succès se remporte par la violence et l’argent. On suit l’évolution de ces jeunes garçons qui font peu à peu l’expérience de la délinquance et de la criminalité : de petit job de maître d’hôtel pour un mariage organisé par un des chefs de la mafia à dealeur pour dominer un territoire, de « protecteur » de commerces de quartier à caïds armés des rues…
Cette évolution se donne à voir de manière cinématographique où la mise en scène es particulièrement soignée : Nicolas Fiorillo aime accentuer ses actions et décisions pour qu’elles soient à la fois craintes et respectées. C’est le cas dans la vidéo enregistrée à l’école montrant Nicolas commentant à sa manière Le Prince de Nicolò Machiavel. Alors que les élèves doivent être filmés en lisant des extraits littéraires, Fiorillo choisit Le Prince, referme son livre, se poste devant la caméra et explique avec ses mots le chapitre XVII portant sur la cruauté ou la clémence, s’il vaut mieux être aimé ou être craint. Entrant en résonance avec le rôle social qu’il est en train de se forger en tant que chef de la paranza, son allocution est saisissante, renforcée par le point de vue interne du narrateur, focalisé sur le professeur découvrant les images de la séquence filmée. C’est sans doute une critique sous-jacente au corps enseignant qui ne peut qu’assister désarmé à l’apparition de ce type de profil dans le paysage scolaire.
Roberto Saviano porte à la lumière une réalité sans filtre. Au lecteur de faire sa mise au point, exhaustive et précise sur le réel, choquante et traumatisante à partir de cette fiction passionnante et violente. Si l’on ne peut pas éradiquer le mal, au moins on ne le subira pas avec les écrits de Roberto Saviano.
On quitte Pirannhas en se disant que ce mal (violence, corruption de la jeunesse, crime, cruauté…) ne peut être éradiqué. Peut-être. Mais, cet ennemi il faut le connaître. C’est ce que permet Roberto Saviano avec ce roman, qui est à ce mal ce que Machiavel fut lui-même pour la tyrannie (Rousseau voyait dans Le Prince le premier « livre des Républicains ») : un manuel pour mieux connaître et comprendre. Connais ton ennemi…