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Publié le mardi, 15 février 2022 à 09h42

Piccolo Corpo film de Laura Samani au cinéma

Par Valérie Mochi

Celeste Cescutti est Agata dans Piccolo corpo de Laura Samani

Dernièrement plusieurs films ont posé la question de la parentalité et du mystère que représente l’enfant, My Zoé de Julie Delpy (l’enfant est un clone), Annette de Leos Carax (une marionnette qui devient humaine), Madres parallelas (échange de mère) de Pedro Almodovar, l’Événement d’Audrey Diwan (grossesse non désirée), A good man de Marie-Castille Mention-Schaar (un homme enceinte) et La ragazza ha volato de Wilma Labate (un enfant issu d’un viol). Un questionnement d’actualité.

Piccolo Corpo de Laura Samani fait partie de cette lignée. 1901, Italie, Frioul, un village de pêcheurs, Agata donne naissance à une enfant sans vie. A cette époque l’Église n’autorise pas les sacrements religieux et condamne son âme aux limbes. Agata désespérée, apprend d’un vieil homme qu’il existerait un sanctuaire perdu dans les montagnes où il serait possible de ramener l’enfant à la vie, le temps d’un souffle, pour la baptisée. Agata se lance alors dans une quête éperdue pour rejoindre cet endroit mystérieux lorsque son chemin croise celui de Lynx.

Religion, superstition, Laura Samani semble avoir un goût particulier pour le sujet, son court métrage remarqué de 2016 s’intitulait déjà La Santa che dorme, la sainte dormante.
Le titre de son premier long métrage, Piccolo Corpo, « petit corps » qui évoque à la fois la douceur du nouveau né et l’horreur d’un corps sans vie, est emblématique du mélange de styles qu’elle adopte pour raconter le périple de ses personnages, entre vérisme et fantastique, une sorte de réalisme magique.
Elle réussit à transporter le spectateur dans un voyage troublant qui met en scène le passé pour mieux y refléter le présent.

Piccolo corpo ou le parcours difficile, désespéré de deux âmes fortes aux profils de gravures de l’époque, Agata, Celeste Cescutti, un visage de sainte et une force de détermination bien terrestre. Lynx, Ondina Quadri, un regard translucide et un mystère inquiétant.

Celeste Cescutti porte le film et son fardeau, c’est son premier rôle au cinéma, elle traverse toutes les épreuves, forte, humble, une interprétation sans faille, impressionnante.

Ondina Quadri en revanche n’en est pas a son premier film, des rôles au théâtre et au cinéma avec Amours et Métamorphoses (Amori e metamorfosi), Arianna et Il nido. Elle obtient plusieurs prix pour Arianna. Elle est un Lynx agile et sauvage.

Leurs personnages sont opposés, complémentaires, et semblables à la fois, ils ont la même difficulté à exprimer leurs sentiments, la même rébellion envers une société trop conventionnelle, la même solitude, la même souffrance. Ensemble ils marchent, arpentent les forêts, escaladent les montagnes, font face à de nombreuses épreuves et finissent par s’apprivoiser. Ensemble ils trouvent la force de sortir de leur deuil et de leur abandon.

Tout au long du film une série de passages symboliques ponctuent le récit, le parcours ascensionnel du Frioul à la Vénétie Julia, du soleil à la neige, le lavage du corps d’Agata comme la toilette d’une morte, le tunnel sans fin où le noir absolu fait revenir le spectateur à lui-même, la barque sur le lac qui rappelle le tableau de l'Île des morts de Arnold Böcklin, le plongeon dans le lac et la longue nage sous marine comme un retour au ventre maternel.

Le nom de l’enfant acquiert aussi une dimension symbolique qui se déploie aux deux personnages centraux. Agata doit donner un nom à son enfant pour le faire exister, si le bébé n’existe pas elle n’est pas mère, elle lutte pour sa propre affirmation. Lynx est-il homme ou femme, c’est lui/elle qui doit décider, trouver son identité.

Passage à l’âge adulte, quête d’identité ? Un film très riche malgré son apparente sobriété.

La conception du film et son développement viennent appuyer cet effet de simplicité étudiée. Les décors naturels, l’éclairage à la lumière des bougies, le tournage dans la continuité, les costumes uniques aux teintes subtiles, le jeu physique des acteurs, les dialogues dans de multiples dialectes, tout est maîtrisé, pensé. Légende, conte populaire, L. Samani joue avec les mythes, les codes, elle ne laisse pas au spectateur la possibilité de s’identifier aux personnages. Il est immergé dans l’univers que crée la réalisatrice, les odeurs, le froid, le chaud, la faim la fatigue, la peur sont presque palpables. Un film de sensations.

Un film sombre aussi, un chemin de croix, une vision d’angoisse, le film d’une génération. Piccolo corpo ou l’évocation d’un mal être profond qui frappe le monde actuel, une ascension vers l’obscurité, vers un avenir inquiétant, une marche forcée, le dos tourné à l’horizon de la mer, l’étendue ouverte, le monde des possibles, qui ne revient jamais, sauf peut-être dans le regard de Lynx.

Informations pratiques
  • Au cinéma dès le 16 février 2022

Jeu-concours des places à gagner réservé aux abonnés à notre lettre
(pour participer au concours, cliquez sur ce lien et répondez aux trois questions)