Publié le vendredi, 16 octobre 2015 à 14h37
Pier Paolo Pasolini. Le geste d’un rebelle de Lauret Lasne
Lauret Lasne, chroniqueur sportif à Europe 1 et écrivain, vient de publier "Pier Paolo Pasolini. Le geste d’un rebelle", aux Éditions Le Tiers Livre.
L'auteur, passionné d'histoire et de sport, nous invite à reparcourir les étapes décisives de l'itinéraire existentiel et artistique pasolinien dans une sorte de tour à vélo, ou Giro d'Italie, qui, à partir des paysages montagneux frioulans, s'envole à travers toute la péninsule et termine, comme on sait, de façon dramatique et mystérieuse le 2 Novembre 1975 sur la plage d'Ostia.
Le langage simple et clair de Lasne nous amène à observer, à la fois la vie d'un jeune « poète de sept ans » qui au cours de son existence expérimentera le feu sacré de la création poétique et la vita violenta et l'évolution d'un sport, introduit à la fin du XIX° siècle en Italie du Nord par des Anglais expatriés et des aristocrates italiens, pratiqué aux origines dans l'armée frontalière en tant qu'exercice de préparation physique, et qui deviendra, un siècle après, l'expression la plus parfaite du consumérisme de masse: il calcio, le football.
En effet, le deutéragoniste du livre de Lasne est justement le football, l'un des plus grand plaisirs de Pasolini, « après la littérature et l'éros ». Lasne, fin connaisseur de l'histoire et du jeux de football, mélange habilement délicieux anecdotes sportifs, épisodes très émouvants, tel que celui du stade Vélodrome de Marseille transformé en tribune de l'antifascisme pendant la Coupe du Monde 1938, et, par exemple, le cours d'histoire de l'art de Roberto Longhi, rencontre décisive pour le jeune Pier Paolo.
Ou même, l'auteur lie entre eux les changements au niveau technique du football italien - pour un jeu plus offensif, grâce à des entraîneurs étrangers arrivés en Italie, comme Il Mago Helenio Herrera -, la transformation des stades en lieux de contestation - une brutale politisation des tribunes au milieu des années 1960, entrée en résonance avec la contestation estudiantine - et, d'un côté, la distinction pasolinienne entre le football en prose et celui en vers, car «le football est un langage», et, dans l'autre, la critique impitoyable d'un intellectuel qui tout au long de sa vie s'est lancé contre l'hypocrisie et l'«irréalité» de la culture bourgeoise de masse, et ses « medias ».
Comizi d'amore (« Enquête sur la sexualité ») est un film pour lequel Pasolini expérimenta les méthodes du « direct », en s'inspirant de la tradition cinématographique de l'enquête filmée inaugurée par Cesare Zavattini; dans son commentaire sur le film Michel Foucault écrira qu'il s'agit de « Propos de rue sur l'amour » (« Les matins gris de la tolérance », Le Monde, 23 Mars 1977). Dans l'un de ces dialogues-interview Pasolini parle avec les joueurs du Bologna F.C., mais la fusion entre le Cinéma, le Football et l'Éros comporte pour l'auteur une «désillusion», comme il le confie a Paolo Volponi.
Voilà un extrait du dialogue:
« Dites- moi Pavinato, pour vous la pensée de la vie sexuelle est une pensée qui vous inspire du plaisir ou de l'inquiétude?... Quand vous faites un match, vous vous réalisez probablement sans aucune inhibition, c'est la même chose dans le domaine sexuel?..
- Et vous Negri?
- Pour moi, ça va comme ça.
- Je ne comprend pas.
- Je n'ai rien a dire en somme.
- Comment ça vous n'avez rien a dire... Dans quel sens...vous...
- Je n'y pense même pas
- Vous n'y pensez pas... Ah! Vous êtes un vrai catenaccio (« le verrou »)... Mais est-il possible que vous ne pensiez pas à l'amour ?
- Cela ne me préoccupe pas. »