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Publié le mercredi, 18 juillet 2012 à 09h00

L’Italie comme vous ne l’avez jamais vue

Par Emilie Voisin

C’est un film coup de poing. Les maîtres-mots de ACAB sont : violence, haine, ignorance, injustice mais aussi amitié, fraternité, fidélité (à n’importe quel prix d’ailleurs).

On découvre Rome dans ses faubourgs, ses quartiers malfamés, ses supermarchés et dans une caserne. Puisque les « héros » sont des CRS. Stefano Sollima dépeint une Italie rarement vue au cinéma, loin des clichés et des cartes postales et nous emmène dans ce monde fermé, controversé et qui tend parfois à la paranoïa.

Cobra, Negro et Mazinga sont des « vieux de la vieille », chacun avec une situation personnelle différente mais tous touchés par la dure réalité sociale, l’injustice et la haine. Ils sont présents à chaque tension de la société : pour garantir la sécurité dans les stades contre les « ultras », pour évacuer un camp de Roms, lors de manifestations. Et comme le font remarquer les scénaristes du film : « toujours en première file, à prendre les coups, parfois à en donner. Ce sont des coups à 1400 euros par mois ».

Peu respectés, souvent insultés, ils reçoivent plus souvent du mépris et des crachats que des compliments. Happés par le système et ses dérives, ils sont perdus et perdants. Negro, quitté par sa femme, pète un plomb et ne peut plus voir sa fille, sa seule joie de vivre ; Mazinga n’arrive plus à communiquer avec son fils qui vire dans les groupes d’extrême droite ; il y a aussi Adriano, la jeune recrue, dont la mère doit être expulsée et dont le nouvel appartement est occupé illégalement par des sans-papiers…

Ils se raccrochent donc à leur métier, où ils se sentent forts, puissants et font respecter l’ordre et la morale, même si la loi devient parfois « leur » loi. Leurs collègues sont leurs amis, leurs frères même : embrassades viriles, bières, « bastons »…C’est une histoire d’hommes, fiers et orgueilleux, inflexibles (les femmes ne sont que des personnages secondaires et peu considérés). « On n’abandonne jamais un frère », prêche convaincu Cobra (Pier Francesco Favino, impressionnant), qu’il soit en mauvaise posture ou voire même dans l’illégalité.

D’ailleurs il a peint une fresque dans le hall de la caserne, qui rappelle le mythe romain, repris ensuite par les thèses fascistes : des CRS en gladiateurs, glabres, musclés, puissants, vaillants et courageux contre l’ennemi. Ici le numéro 1, celui à « abattre », c’est l’étranger, le voleur, le violeur, celui qui profite du système alors que les Italiens n’ont rien : « padroni a nostra casa » (« patrons chez nous ») est leur devise. Amalgames, misère intellectuelle et sociale, préjugés et raccourcis forgent un racisme quotidien, même chez les forces de l’ordre, confrontés au « pire » de nos sociétés modernes, touchées par la crise qui accentue les clivages.

Mise en scène rapide, brut, nerveuse, coups de matraque, testostérone sont les ingrédients de ce film résolument contemporain, parfois un peu caricatural mais hélas réel et réaliste…Une chronique de la violence physique et psychologique vécue au quotidien, qui touche tout le monde et surtout ces CRS, dernier rempart de l’État.

scène du film acab, all cops are bastards
Critique du film ACAB, All Cops Are Bastards