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Publié le vendredi, 12 novembre 2021 à 09h45

Les oracles de Teresa, roman d'Arianna Cecconi

Par Deborah D'Aietti

Les

Ethnologue, Arianna Cecconi signe son premier roman, liant fiction d’inspiration autobiographique à ses recherches sur le rêve et l’inconscient des cultures d’Amérique latine. Je l’ai rencontrée dans un hôtel du 6ème arrondissement où elle m’a livrée en toute humilité la magie, les secrets et la sororité qui caractérisent ce premier roman riche de symboles et d’émotions.



« Voici une histoire de choses invisibles, de prophéties, d’oracles lares et de liberté ; une histoire qui traite du hasard et de la difficulté de décider, de choisir, d’aimer, de grandir et de mourir », Arianna Cecconi, introduction du roman.

Les oracles de Teresa est une plongée dans l’intimité d’une famille de femmes, veillant Teresa, la matriarche, dans ses derniers jours. Un huis-clos familial, réunissant trois générations de femmes - cousines, filles et petite fille de Teresa - qui les portera vers un voyage magique où chacune se découvrira elle-même.

Italie, Plaine du Po. Teresa n’a pas parlé depuis près de dix ans. Alitée au milieu du salon de la maison aux figuiers, elle s’est volontairement murée dans un silence et une somnolence consciente, depuis qu’elle a senti sa mémoire s’étioler et son esprit vaciller, de peur qu’elle ne laisse échapper son profond secret. Entourée des femmes de sa vie, Nina, Flora, Irene, Rusì et Pilar, Teresa se fera « oracle » et maîtresse de l’indicible.

La narration est construite du point de vue interne de Nina, la petite-fille de Teresa. Plus jeunes que les autres - Nina a une trentaine d’années - c’est celle qui réussit à inclure un homme dans l’intimité familiale, grâce à un lien apaisé, une tendresse assumée. Les autres femmes, elles, ont vécu un rapport aux hommes plus complexe, dans cette société paysanne où les hommes devaient tenir un rôle déjà écrit. Ce fut le cas des maris de Teresa et de Pilar qui furent prisonniers de leur destin, comme les vers à soie placés dans des bacs au fond de la maison. Nous avons évoqué avec Arianna Cecconi ces insectes qui sont ici la métaphore de cette ambivalence entre celui qui reste et ne peut pas devenir papillon et celui qui ne peut qu’être papillon et s’échapper du cocon.

Les oracles de Teresa est un roman de la sororité et de l’affection entre ces femmes d’un même clan. L’intimité est liée à leur féminité et rappellent les traditions matriarcales des sociétés d’Amérique Latine. Pilar vient tout droit du Pérou. C’est elle qui permet d’introduire les coutumes traditionnelles des sociétés péruviennes et par ce biais également, la magie. Elle surgit au détour d’une phrase, par une sensation, une image, à la symbolique forte : « Flora regardait dans le vide ou se concentrait sur les reptations de son serpent argenté. La première fois que son inconscient lui apparut, il lui rappela la tresse de Pilar. Un serpent couleur d’argent aussi long qu’elle, aux yeux tournés vers l’intérieur ». La magie est aussi dans les grigris attachés au lit de Teresa. Elle parle de l’invisible et crée une tension romanesque supplémentaire qui peut surprendre sans choquer le lecteur.

Le texte nous porte vers l’issue irrémédiable de la mort de Teresa, entre tragédie et soulagement. J’ai noté ce commentaire d’Arianna Cecconi : « j’ai voulu rendre à la mort sa naturalité. Elle fait partie de la vie. Une séparation, c’est toujours un moment de grande tristesse mais aussi un moment de recueillement et de proximité entre celles qui restent et celle qui part. C’est une façon d’accompagner nos morts pour continuer à vivre ». Qui a déjà vécu un deuil peut s’identifier à ce cercle de femmes à la fois attentionné, original et soudé.

Arianna Cecconi offre ici un texte à la fois libre et intime. Libre car la connaissance académique d’ethnologue s’est mêlée à un imaginaire fécond, dans une écriture empreint d’un réalisme magique rappelant Italo Calvino ou Gabriel Garcia Marquez, qui a d’ailleurs écrit… Chronique d’une mort annoncée. Intime car l’histoire de Teresa ressemble beaucoup à celle de la grand-mère d’Arianna Cecconi, qui se livre ainsi à nous avec pudeur et élégance. Une plume originale entre les mains d’une autrice à suivre…

Informations pratiques
  • Arianna Cecconi, Les oracles de Teresa, traduit de l’italien par Marianne Faurobert, éditions La Belle Étoile (Hachette), 19,90 €

Vous pouvez commander ce livre, en italien ou en français, sur le site de La LIbreria