Archives Livres

Publié le lundi, 4 décembre 2017 à 09h34

Le Radeau de la Gorgone de Dominique Fernandez

Par Deborah D'Aietti

Le Radeau de la Gorgone - couverture

La Sicile est une terre spécifique, avec ses propres codes, sa langue, son patrimoine. Si toutes les régions de l’Italie ont une « typicité », la Sicile en est la plus marquante.
Dominique Fernandez de l’Académie Française, grand passionné et spécialiste de l’Italie, propose ici une version augmentée de son livre Le Radeau de la Gorgone, dont la première édition est parue en 1988 chez Grasset, en collaboration avec son compagnon et photographe Ferrante Ferranti.
Le titre de cet ouvrage fait ouvertement référence au symbole de la Sicile, la trinacria, Gorgone à trois jambes.

Il s’agit d’un livre du souvenir, souvenir de la Sicile où s’entrecroisent les décennies, des années 80 à aujourd’hui. Une temporalité indifférenciée, pour coller au plus près de la temporalité de l’île : « le temps sicilien n’est pas tout à fait le temps occidental, il bouge en restant immobile, il a l’air de stagner tout en allant de l’avant » écrit Dominique Fernandez dans son avertissement introductif, qui précise que le but de l’ouvrage ne sera pas de faire une critique de l’actualité, liée aux questions de l’immigration européenne.
Le Radeau de la Gorgone est aussi un livre de voyages, enrichi par les nombreux séjours passés, ensemble ou non, de Dominique Fernandez et de Ferrante Ferranti, comme l’indique le sous-titre « Promenades en Sicile ».
Comment raconter la Sicile, cette terre si particulière, riche d’une identité forte, et de différentes cultures, où vestiges du passé et trésors de la nature participent à l’intemporalité de l’île ?

Au détour d’une église, d’une piazzetta, d’un chemin… Dominique Fernandez décrit avec exhaustivité et préciosité les contours d’un paysage riche et sensible. C’est un tour de l’île, de Palerme jusqu’à Trapani en passant par les villages de l’intérieur des terres que nous fait suivre le récit du Radeau de la Gorgone. A travers ce parcours, Dominique Fernandez raconte l’influence des multiples civilisations qui se sont succédées au fil des siècles : grecque, arabe, normande, suève, bourbonienne…

Les traces de ces civilisations nous sont comptées à travers les différents bâtis, témoins de cet héritage multiple qui participe à la spécificité de la Sicile. Dominique Fernandez évoque aussi ses rencontres avec des anonymes, habitants de l’île, qu’ils soient commerçants, nonnes, promeneurs sur l’Etna, enfants dans les rues de Palerme.... Il invoque aussi les grands noms de la Sicile, symboles d’une fierté culturelle : les auteurs Luigi Pirandello, Leonardo Sciascia, le sculpteur Giacomo Serpotta, le compositeur Vincenzo Bellini, l’architecte Giovanni Battista Vaccarini…

Ce voyage très documenté est une invitation à la (re)découverte de l’île. Le texte, d’une densité exceptionnelle, prenant parfois un rythme incantatoire, mêle érudition avec références littéraires et rappels historiques, aux impressions du voyageur.
L’édition de 2017 comporte une trentaine de photographies de Ferrante Ferranti, divisées en deux livrets, qui entrecoupent deux des dix-neuf chapitres du livre. On regrettera cette disposition et l’ordre dans lequel sont présentées les photographies : le rythme du texte ne correspond pas à celui des photographies. Par exemple, alors que Trapani arrive en fin de parcours, la photographie du Mystère de la Passion que Ferranti immortalise dans cette ville, est présente au premier livret.

Qui plus est, il y a fort peu de visuels pour illustrer tous les recoins de cette Sicile d’hier et d’aujourd’hui. Nous pouvons regretter le manque de rigueur dans le choix audacieux d’illustrer le livre par des photographies. Si illustrer le récit par des visuels brillants semble apporter une dimension réelle et immersive à celui-ci, force est de constater que son traitement a plus été pensé comme un « patchwork », pouvant désorienter à la première lecture, que comme une construction intelligente de l’œuvre qui aurait dû articuler le verbe et l’image, de sorte à être complémentaires et non à être aléatoirement illustratifs. Cela n’empêche pas d’apprécier le merveilleux objectif de Ferrante Ferranti.

Certes, il a fallu faire certaines concessions et il est évident que tous les lieux ne peuvent être illustrés. Ne serait-ce alors pas un choix calculé ? Dominique Fernandez donne ici un avant-goût de voyage au fil des pages. Le prolonger véritablement, c’est se rendre directement en Sicile afin de se forger sa propre opinion sur cette terre qui ne laissera personne indifférent.

Informations pratiques

Le Radeau de la Gorgone, Dominique Fernandez, Philippe Rey, 22€
Pour acheter le livre, cliquez sur l'image ci-dessous